Transformer un abri en sanctuaire


Ce chapitre tend à démontrer que les interactions sociales et culturelles au sein de la maison romaine reposaient sur une métaphore globale liée au concept du sanctuaire. La maison en tant que sanctuaire garantissait, d’une part, la sécurité de ses habitants et, d’autre part, une considération respectueuse de la part des visiteurs. Ces fonctions étaient assurées par un assemblage complexe de motifs à prétention apotropaïque et cathartique, déclinées dès l’entrée sous de multiples formes : médaillons ornés d’un lion, peintures murales de victoires ailées et mosaïques de sol où figuraient, entre autres, des chiens de garde ou des ancres de navires. D’autres références métaphoriques au sanctuaire faisaient partie intégrante des sanctuaires domestiques (lararia) (fig. 1), des portraits des ancêtres, (imagines clipeatae) (fig. 2), des pièces à vocation de sanctuaire (sacraria) (fig. 3), des jardins entourés de murs (paradeisoi) (fig. 4), des bassins sacrés (nymphaeum) (fig. 5) et enfin, avec une richesse des plus foisonnantes, des pièces dotées de peintures murales illustrant des divinités, des mythes ou des sanctuaires (fig. 6). Ce milieu hautement fétichiste tenait lieu de portail vers un monde métaphysique, peuplé d’un éventail impressionnant de dieux, de divinités, de héros et d’ancêtres familiaux, tous invoqués régulièrement pour protéger et assister la maison ainsi que ses occupants.

Si les fonctions apotropaïque et eschatologique des éléments susmentionnés sont comprises, du moins en partie, l’utilisation de la peinture murale pour remplir une fonction similaire dans un contexte domestique reste largement méconnue. Ce contraste est attribuable à une association radicale des peintures, bien après leur découverte, au concept de décoration, ainsi qu’à des tendances postchrétiennes qui envisageaient l’église, et non la maison, comme lieu de culte principal. À l’inverse, dans la culture païenne, la maison se devait d’être un milieu spirituellement chargé et, dès lors, un habitat à la fois cathartique et protégé. Dans la maison romaine, ce but a été atteint avant tout grâce à des techniques picturales parmi les plus sophistiquées jamais inventées. Les artistes qui les ont élaborées sont parvenus à créer une transition mentale fluide entre l’espace de l’architecture et celui de l’illusion, inégalée jusqu’à l’émergence de la réalité virtuelle créé par l'ordinateur deux mille ans plus tard.

Au cours des dernières années, de nombreux écrits ont été consacrés aux maisons romaines de l’élite politique et marchande. La plupart de ces textes s’employaient à décrire les fonctions spécifiques du domicile propres à cette classe sociale, dans un contexte public comme privé. Dans le cas présent, « public » renvoie le plus souvent à une quelconque forme de transaction commerciale, d’engagement politique ou de mécénat public, tandis que « privé » est utilisé pour décrire les parties de la maison qui déterminaient les relations entre les membres de la famille, les amis proches ou les interlocuteurs d’un même niveau social. Cette double interprétation de la maison romaine provient dans une large mesure des sources écrites antiques. Les implications de ce postulat sur la perception de la peinture murale romaine, tout particulièrement en ce qui concerne le statut social et culturel, sont étudiées dans la section La Maison et son Double. Sous cette rubrique est critiqué cet usage presque exclusif de sources écrites qui a contribué à déformer la perception des autres catégories de preuves matérielles. En conséquence de cette déformation, les peintures situées dans des zones « publiques » semblaient intrinsèquement liées à l’ambition politique et économique, alors que les œuvres situées dans l’espace privé versaient dans l’exposition hédoniste. La notion d’exposition, en opposition avec celle d’engagement conceptuel ou esthétique, sous-tend une grande partie des écrits de la fin du xxe siècle consacrés à ce sujet. Comme il a été défendu précédemment, pour certains théoriciens, la simple présence de peintures murales est révélatrice d’un certain faste et d’une volonté d’acquérir un certain statut social. Cette approche évite toute étude iconologique approfondie qui s’oppose à cette perception prédominante des peintures murales, dérivée des sources écrites et des publications. Le présent chapitre va à l’encontre de cette perspective biaisée pour se consacrer à l’iconologie et decouvrir ce que celle-ci peut nous apprendre sur les commanditaires des peintures murales, ainsi que sur les personnes évoluant au contact de ces images.

 

La maison en tant que sanctuaire
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Nymphaeum in Casa del Centenario 5>
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1. Lararium, Casa del Poeta Tragico, Pompéi

2. Clipeatae imagines – portraits ornant des boucliers commémoratifs, Villa di Poppea, Oplontis

3. Sacrarium, Casa del Sacello Iliaco, Pompéi

4. Peinture murale d’un jardin paradeisos, Casa del Bracciale d'Oro, Pompéi

5. Nymphaeum, Casa del Centenario, Pompéi

6. Peinture murale représentant le dieu Bacchus (Dionysos), Villa di San Marco, Stabiae
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Depiction of a deity, Villa Arianna, Naples 6
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