Dé-fétichiser les peintures murales


Un facteur indirect qui a contribué à la dé-fétichisation des peintures murales antiques a été le désir de certains universitaires membres du clergé au XIXe siècle, ainsi que d’érudits du début du XXe siècle de dé-paganiser le Romain « instruit » en le décrivant comme une personne qui rejetait l’idolâtrie, la superstition et les pratiques occultes en faveur de la pensée rationnelle (chrétienne). Cette vision est problématique car elle se fonde sur une lecture sélective de textes de certaines personnalités pourtant rigoureuses dans leur recherche intellectuelle et scientifique, telles que Pline, Cicéron, Sénèque et Lucrèce.

Les universitaires ecclésiastes n’étaient pas les premiers à agir de la sorte ; dès le IVe siècle, des théologiens tels que saint Augustin ont tenté de vider Cicéron de toute essence païenne en se référant à certains écrits dont le fond paraissait relever de la Chrétienté. Il est possible que Cicéron ait montré des tendances qui ont pu paraître chrétiennes; néanmoins, comme le souligne l’historien Franz Althiem, ses positions idéologiques étaient régies par des croyances païennes. Par exemple, le second traité Des Lois de Cicéron, centré sur le concept de législation gouvernée par la volonté sacrée et divine, permet assez clairement de le ranger dans le camp des patriciens, qui voyaient l’État et la religion ancestrale comme deux entités inséparables. D’autres travaux de Cicéron sont également révélateurs d’un effort délibéré pour lier les grandes réalisations de l’État avec la théologie romaine, comme l’avaient fait les Grecs avec leur propre théologie (Altheim F., 1938, p. 337-39).

L’ouvrage de Cicéron De la divination remet en question la légitimité de la divination, tandis que Lucrèce, dans son poème De la nature des choses, tourne en ridicule les croyances superstitieuses : « [La piété], ce n’est pas se montrer à tout instant la tête voilée devant une pierre, ce n’est pas s’approcher de tous les autels, ce n’est pas se prosterner sur le sol la paume ouverte en face des statues divines, ce n’est pas arroser les autels du sang des animaux, ni ajouter les prières aux prières […]. » (ch. V, 1198, trad. Clouard H.)

Ce besoin, ressenti par Cicéron et Lucrèce de condamner les rituels superstitieux et les pratiques fétichistes insolites révèle la présence continue de telles activités chez une large portion de la population, y compris au sein de l’élite. Dans Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain, Edward Gibbon prenait quant à lui une position plus tranchée au sujet des croyances superstitieuses romaines : « La crainte, la connaissance, la curiosité, un songe, un présage, un accident extraordinaire, un voyage entrepris dans des régions éloignées, étaient autant de causes, qui l’engageaient perpétuellement à multiplier les articles de sa foi, et à augmenter le nombre de ses dieux tutélaires. » (Gibbon E. vol. I, ch. II, trad. Guizot F., 1776‑1788)

Des hommes tels que Cicéron, Lucrèce et Sénèque appartenaient à l’élite intellectuelle, nous ne pouvons donc pas déduire de leur scepticisme intermittent que tous les Romains instruits rejetaient les pratiques fétichistes ou cultuelles. En réalité, le poids des preuves écrites et visuelles tend à démontrer le contraire. Le désir des sénateurs et des généraux de voir leurs décisions approuvées par des forces surnaturelles, révélées par les facultés divinatoires des augures, est l’un des nombreux exemples qui démontrent que l’élite instruite ne s’est jamais dépossédée de ses pratiques fétichistes.

Le scepticisme de Cicéron ne l’a pour autant pas empêché de rejoindre le Collège des Augures, dont le rôle était de vérifier si les décrets ou les dispositions de l’État jouissaient de l’approbation des dieux. Selon la croyance, les oiseaux étaient les

La maison en tant que sanctuaire
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Peinture murale illustrant l’exercice d’un culte dans un sanctuaire rural, située à l’origine dans la Villa Imperiale di Agrippa Postumus à Boscotrecase, c. 60 av. J.‑C., à présent située au Museo Archeologico Nazionale di Napoli. Les nombreux exemples de peintures murales illustrant des sanctuaires urbains et ruraux, ainsi que les multiples exemples d’exercice de culte retrouvés dans les maisons de l’élite romaine s’opposent à la conception d’un rejet du culte rituel.
Wall-painting depicting worship at a shrine
messagers des dieux ; c’est pourquoi les augures étudiaient de près leurs mouvements, à la recherche de présages favorables ou non. Les rationalistes contemporains n’associeraient probablement pas cette attitude à celle d’un homme rationnel. La lecture des présages n’était que l’un des nombreux rituels que l’État jugeait indispensables au maintien de la pax deorum – le soutien indéfectible des dieux.