Le Culte de la Maison
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Priape

Priape - une leçon visuelle destinée à ceux qui savent le prix de tout mais ne connaissent la valeur de rien


La Casa dei Vettii présente de nombreuses peintures murales qui mêlent le monde mercurien du commerce avec le thème de la production de richesses dans des intérieurs luxueux. L’alliance de ces ingrédients pourrait faire penser que la maison est reliée à une recherche de l’hédonisme. Néanmoins, à y regarder de plus près, les peintures semblent suggérer que les propriétaires – deux frères –, partageaient une vision équilibrée de la relation entre l’argent et la valeur réelle des choses, contrairement à ce qu’une première approche porte à croire. L’une des images les plus marquantes, qui est aussi la plus subtile en termes conceptuels, est une peinture qui interpelle le visiteur à l’entrée de la maison. Il s’agit d’une représentation ithyphallique de Priape, positionnée de manière stratégique à hauteur d’œil sur la droite de l’entrée. Quiconque entrait dans la maison devait, dès lors, passer devant l’énorme pénis en érection de la divinité, nettement moins subtil du point de vue conceptuel. Priape remplissait maintes fonctions symboliques ; l’une des plus importantes était celle d’effigie apotropaïque. À l’instar du prétendu « mauvais œil », il était représenté pour protéger la maison et ses habitants des forces malveillantes. Dans un contexte plus prosaïque, il était aussi placé dans les champs et les jardins comme épouvantail. Pourtant, cette peinture ne contient pas seulement l’image de Priape, ce qui porte à croire qu’il n’y était pas représenté uniquement pour son rôle lié aux fruits de la terre. Dans une attitude relativement déplacée, du moins pour le spectateur moderne, il semble utiliser une balance pour peser son phallus avec un sac de pièces de monnaie. Sommes-nous censés comprendre que l’organe vaut son poids en or ; et si oui, pourquoi ? Sur le sol, sous la balance, on aperçoit un panier débordant de fruits, positionné de manière à être désigné par le phallus. S’agit-il d’un indice sur la véritable nature de la richesse? Sommes-nous censés comprendre que les propriétaires de cette maison sont conscients de la valeur du lien qui unit la fertilité, les dons de la nature et la production de richesses ? La composition installe les produits de la nature à la base d’une relation tripartite dominée par la personnification de la force vitale mystérieuse de la nature. Quant au sac de pièces, malgré son importance dans l’équation, il n’a droit qu’à une présence visuelle moindre. Dans ce contexte, on peut interpréter la peinture comme une forme d’eucharistie païenne ; dans celle-ci, Priape, responsable de la générosité de la nature, était également le premier à se voir offrir ses nouveaux fruits. Après tout, les forces de la nature étaient connues pour détruire autant que pour donner la vie.

Ainsi, cette peinture était conçue pour défier la fortune dans une perspective apotropaïque ; en parallèle, elle servait de gage de gratitude, rappelant avec une certaine poésie au spectateur le caractère fécond de la nature. En outre, le fait que Priape était le fils d’une puissante divinité chtonienne et de la non moins puissante déesse de l’amour Vénus/Aphrodite ne devait pas passer inaperçu, puisque leur présence se voyait renforcée de manière emblématique par la référence sexuelle flagrante de la peinture, et par le thyrse de Bacchus/Dionysos posé contre le mur à côté de Priape. L’effigie de la divinité apparaît également dans le jardin sous la forme d’une sculpture dotée d’un pénis en érection, qui procure la source d’eau à une fontaine. La symbolique de la statue, liée l’eau en tant que source de vie et amenée par la présence de Priape, constitue un parfait contrepoint à la symbolique des fruits de la terre présente sur la peinture murale.