Introduction

Entre le 25 février et le 1er mars 1933 Pablo Picasso réalise une série de dessins représentant des personnages debout faits d'un mélange de parties du corps et d'objets domestiques. L’ensemble des dessins intitulé Une Anatomie, peu de temps après sa réalisation, figure dans le numéro inaugural de juin 1933 de Minotaure. Même s’ils apparaissent dans ce nouveau magazine d'art révolutionnaire, les dessins ont reçu peu d'attention critique dans les années qui ont suivi. et les quelques références qui y sont faites, les veulent pour preuve de l'implication de Picasso dans le mouvement surréaliste. Leur publication dans Minotaure, dernière incarnation des deux tentatives précédentes d’établir une présence médiatique surréaliste, a inévitablement encouragé à les considérer comme tels. Bien que peu commentés et rarement illustrés après leur publication dans Minotaure, leur impact sur l'art du XXe siècle a été significatif, principalement en termes d'influence sur des sculpteurs tels que Henry Moore et Isamu Noguchi . 

J'ai découvert les dessins d’Une Anatomie dans les années 1980, non pas via la revue Minotaure, mais via des illustrations ne proposant que peu ou pas de texte sinon des légendes comme Une Anatomie : trois femmes. Picasso a produit les dessins par séries de trois, mais le magazine Minotaure les a publiés par groupes de six avec comme page de titre la représentation d’une famille sur une plage identifiable grâce à la présence d'une cabane de plage quasi subliminale (Figs. 1-2). Ces dessins m’ont intrigué par leur clarté tridimensionnelle qui ne montre aucun signe d'hésitation ou de type de remaniement exploratoire que l'on trouve dans de nombreux carnets de croquis de Picasso. C'était comme si Picasso avait dessiné des sculptures existantes rendues plus réelles par leurs ombres portées. Au fur et à mesure de leur découverte, s’est imposée à moi la question de leur identité collective. Ils étaient clairement figuratifs, mais pourquoi cet ensemble ? Quel était sa raison d’être ? Les décrire comme des images surréalistes était une observation contextuelle utile, mais ne fournissait pas une description adéquate de l'intention de Picasso d'autant plus que celui-ci a exprimé à de nombreuses reprises son ambivalence envers le surréalisme. Comme des recherches antérieures m’avaient déjà conduit à traduire des œuvres de deux en trois dimensions, j'ai décidé de reproduire également les dessins d’Une Anatomie en trois dimensions afin d'analyser plus avant leur forme,* leur contenu et les références qui y sont associées, puis de les réaliser en bronze et comme celui-ci peut prendre de nombreuses couleurs, j’ai décidé de les patiner, comme s'il s'agissait d'anciennes figures de bronze trouvées dans la mer, les reliant ainsi à la page de titre : la scène de plage (Fig.1).