1. Pablo Picasso Les Demoiselles d'Avignon 1907
2. Pablo Picasso
Trois femmes à la source d'eau, 1921
Ensemble, ses divers thèmes sont une autobiographie visuelle qui fonctionne tant comme un commentaire que comme un signifiant eidétique (eidétique doit ici est compris dans son acception de comportement agissant comme catalyseur pour notre mémoire collective et personnelle). Chaque peinture, dessin, estampe ou sculpture est à la fois un fragment, une déclaration unique et une partie d'une vision collective. Parmi les nombreux thèmes qui traversent son œuvre, celui de la relation avec les femmes qui, dans une large mesure a été façonné dans son enfance, est sans aucun doute le plus important. En tant qu'héritier mâle, Picasso a grandi selon la coutume de la classe moyenne espagnole, entouré de femmes et, de l'avis de tous, elles l'ont choyé. Sa dépendance à l’égard des femmes est bien documentée, tout comme la manière ambiguë avec laquelle il traitait les femmes qui ont partagé sa vie, tour à tour « déesses et paillassons ». Son choix de signer ses œuvres du nom de Picasso n’avait rien d’anodin, le préférant au nom de famille plus prestigieux de Ruiz qu’il tenait du côté paternel, il lui a permis d’indiquer clairement sa prédilection pour la lignée. En ce qui concerne sa sexualité, il reconnaissait clairement l'importance des femmes dans sa vie, tout en craignant d'en dépendre. Il affirmait que ses désirs sexuels et ses instincts créatifs surgissaient simultanément : la créativité dans son travail avait donc pour synonyme iconographique une sorte de « procréativité » . Selon Picasso, les deux transitions se sont produites à la préadolescence, l’amenant ainsi à passer à l’âge adulte sans avoir connu la phase adolescente (cet aveu mériterait une analyse psychanalytique). Toutefois, cette affirmation pourrait être erronée et s’expliquerait davantage par le caractère machiste de l’artiste puisque la notion de l’enfant prodige y est implicite. En réalité, son initiation sexuelle a certainement eu lieu dans le Barrio Chino, le quartier chaud de la Barcelone du tournant du siècle dernier, alors qu’il s’approchait de la fin de l’adolescence et qu' il étudiait déjà à l'Académie des Beaux-Arts de cette ville. La maison close ou le bordel, ne serait-ce que dans le cadre du monde imaginaire masculin de Picasso, a fait surface dans ce qui est devenu l’une des images phares de l’art moderne, désormais poliment appelée
Les Demoiselles d’Avignon (1907).
Les femmes afro-égyptiennes-cubistes (et la figure masculine unique ) représentées dans cette œuvre phare semblent rassemblées autour d'un arrangement de fruits (Fig.1). La symbolique phallique du fruit est assez explicite et assez typique du codage visuel métonymique/symbolique par lequel les artistes indiquent une présence masculine ou féminine sexualisée. Tout comme l'amour de Picasso pour les clés, en réalité et en images, est bien documenté. Parfois, elles devenaient elles aussi des indicateurs sexualisés de la présence masculine subliminale, comme dans sa série de cabines de plage, qui met en scène des jeunes femmes jouant au ballon sur une plage et qui utilisent de grandes clés pour ouvrir les portes des cabines. Si l’on exclut les figures masculines classiques de la série Minotaure de Picasso, nous nous retrouvons avec des références principalement symboliques de la présence masculine, dans un monde par ailleurs majoritairement féminin. C'est ce que Françoise Gilot, sa compagne pendant près de dix ans, notait dans son livre La vie avec Picasso.
Juste avant de peindre Les Demoiselles d'Avignon, Picasso a effectué un voyage alors difficile dans un petit village pyrénéen appelé Gósol, où il a passé plus de deux mois à travailler et à rechercher de nouvelles directions d'inspiration, libres des contraintes intellectuelles de Madrid, Barcelone et Paris. . Pendant cette période, il a produit une œuvre connue sous le nom de Période Rose. Picasso en Gósol 1906 * et Picasso 1906 : La gran transformación **, documentent tous deux son évolution significative vers un art dominé par la forme féminine, dont un aspect transparaît dans ses fécondes images matriarcales qui témoignent de l'observation de De Chirico concernant « les grosses femmes » (Fig.2).
* Picasso en Gósol, 1906, de Jèssica Jaques Pi. 2007
** Musée Centre National de Reina Sofia, Madrid, nov. 23-24 mars.