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Gares et Minotaures : la notion de genre dans l’œuvre de Giorgio de Chirico et de Pablo Picasso
Même à la fin de sa vie, Picasso considérait toujours que le désir sexuel était synonyme de la volonté de vivre. En 1966, alors qu’il était âgé de plus de quatre-vingts ans, une opération de la prostate le rendit impuissant. Ce handicap physique le poussa à produire une série d’eaux-fortes aussi troublantes qu’érotiques. Picasso l’artiste est devenu Picasso le voyeur, se dépeingnant comme un vieux clown. N’étant plus capable d’explorer totalement son sujet, l’artiste vieillissant se présentait plutôt comme un spectateur de sa propre création. Ainsi, il sollicite notre empathie tout en mettant en avant son deuil narcissique à travers sa force créatrice restée virile en tant qu’artiste (Fig.1).

L’angoisse causée par la perte, l’image de soi, une hypersexualité et la mélancolie sont autant de préoccupations psychophysiques traditionnelles. En revanche, la mesure dans laquelle ces dernières obsédaient, de manière consciente ou non, Picasso et De Chirico était loin d’être conventionnelle. Il ne fait aucun doute que la vie et l’art des deux artistes évoluaient en symbiose. Picasso l’a ouvertement reconnu en datant méticuleusement chaque chose qu’il produisait, laissant ainsi une autobiographie artistique que d’autres pourraient tenter de déchiffrer. Par contre, il n’est pas certain qu’ils se soient livrés à une analyse personnelle profonde afin de générer leur œuvre. En effet, ils pourraient avoir délibérément échappé à la tentation d’adopter une réflexion intellectuelle sur leur travail, préférant plutôt chérir la muse qui a instinctivement et émotionnellement propulsé leur œuvre. Ainsi, De Chirico a préféré une vision poétique à une dissection intellectuelle. D’une manière générale, les deux artistes étaient capables de faire des observations objectives sur leur sexualité ; sur la relation œdipienne avec leurs parents ; et sur leurs diverses préoccupations quant à la mort. Vers la fin de sa vie, Picasso a affronté sa peur de la mortalité en se livrant notamment à une forme d’autodérision, comme en témoignent les autoportraits qu’il a produits peu avant son dernier souffle. Dans ceux-ci, après une vie d’engagement œdipien vis-à-vis de la lignée matriarcale, il apparaît sous les traits d’un singe (fig.2). En réexplorant la femme/mère, il entrait à nouveau symboliquement dans son ventre, peu avant sa mort, touchant ainsi du doigt l’immortalité. De Chirico, en vue du même objectif, a préféré emprunter la fausse-porte paternelle (de l’Antiquité) dont la clé lui a été fournie par l’art perdu de la perspective métaphysique (Fig.3-4).

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1. Pablo Picasso Old Clown with charming young girl 1968-71
2. Pablo Picasso Self-portrait 1972
3. Giorgio de Chirico Metaphysical Interior 1971
4. Giorgio de Chirico Ulysses Returns 1968
traduction Stephanie Closjans