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Pablo Picasso qualifiait affectueusement Giorgio De Chirico de peintre des gares. De Chirico, dans un commentaire tout aussi bref mais admiratif, décrivait Picasso comme un peintre de corridas et de grosses femmes. Ce résumé apparemment désinvolte de l’œuvre de chacun était plus astucieux qu’ils auraient pu le penser.

Le texte qui suit s’attache à analyser la différence de genre sous-entendue dans leurs brefs résumés et propose qu'elle ait été déterminée par leurs filiations paternelles et maternelles, qui ont implicitement et explicitement dominé le travail de ces artistes influents. Dans « Limites non frontières du surréalisme », André Breton*, le plus influent des écrivains et théoriciens surréalistes, affirmait qu'en 1914 « ...l'intervention de Picasso et Chirico dans le domaine de la peinture a changé radicalement les formes visuelles de la représentation humaine »*

En termes d'influences de genre, ces artistes étaient diamétralement opposés, l'un est animé par la lignée familiale paternelle, l'autre par la lignée maternelle, l'un recherche le métaphysique et l'apollonien, l’autre, le physique et le dionysiaque.

* André Breton, publié pour la 1e fois dans la Nouvelle Revue Française ( février 1937 ).

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1. Giorgio de Chirico Le Chant d’amour (1914)

 

Gares et Minotaures : la notion de genre dans l’œuvre de Giorgio de Chirico et de Pablo Picasso
Les influences de genre qui ont façonné l’œuvre de De Chirico et de Picasso n’étaient pas le produit de la présence parentale, mais de son contraire : son absence décisive. Le traumatisme provoqué par la perte est l’une des expériences les plus troublantes à laquelle notre psyché puisse être confrontée, et a fortiori s’il s’agit de l’esprit sensible d’un enfant ou d’un adolescent. Plusieurs spécialistes ont déjà envisagé la corrélation entre ce thème et le développement pathologique des artistes, citons Sigmund Freud, Robert Liebert et Martha Wolfenstein au sujet de, respectivement, Léonard de Vinci (1919), Michel-Ange (1983) et René Magritte (1974). Le lien pathographique entre les peintures de Magritte et le traumatisme provoqué par le suicide de sa mère, survenu pendant son adolescence, a attiré le regard clinique de plusieurs psychanalystes. Sa représentation visuelle dans ses peintures est explicite et constitue donc un modèle propice pour exprimer et renforcer les théories psychanalytiques liées au traumatisme. En revanche, les compositions infiniment plus complexes de Giorgio de Chirico, façonnées par la perte paternelle, ont été ignorées par le même groupe. Il s’agit d’un oubli surprenant étant donné la déclaration de Magritte selon laquelle, en voyant Le Chant d’Amour de De Chirico (1914), il s’est effondré avant d’éclater en sanglots parce que, pour la première fois, il avait compris que la peinture pouvait revêtir des formes profondes d’expression poétique. En plus de présenter une telle caractéristique, les peintures de De Chirico démontrent également le potentiel psychologique qui se libère lorsque les émotions évoquées par la perte sont transférées à des objets de substitution (Fig. 1). La création de Magritte pourrait montrer la réalisation d’ une catharsis à travers un acte de peinture « poétique » ou un transfert lié à des objets virtuels ou réels. Ces deux stratégies ont permis à Magritte de créer une forme picturale de souvenir cathartique associée à la mort tragique de sa mère ou une manière de revivre celle-ci. Carl Jung qualifie ce phénomène d'acte d'abréaction. (Jung: juin 1961)
Bibliography
( mis à jour : 14-12-2024 )