La vision culturelle de l’Italie des participants du Grand Tour au dix-neuvième siècle était infiniment plus subtile et, par conséquent, probablement bien plus riche que celle vendue par l’industrie touristique actuelle. Au lieu des ciels bleus, des plages de sable blanc et d’un bref moment de culture, leurs récits parlent de leur envie de découvrir des sites hautement poétiques où la réalité, la poésie et le mythe ne font plus qu’un. Il était donc nécessaire de revivre ce rêve et de découvrir le Colisée, le Panthéon ou le Forum de Pompéi au lever ou au coucher du soleil, ou encore au clair de lune, car les artistes et les écrivains les avaient dépeints dans ce contexte (fig.1).

Fragments, Faux et Grotesques

En plus de la romantisation de l’histoire culturelle italienne, des secteurs peu scrupuleux de l’industrie touristique s’occupaient à « reconstruire », si ce n’est contrefaire l’Antiquité. Il était courant pour les restaurateurs comme Bartolomeo Cavaceppi de rassembler des morceaux provenant de sculptures différentes et de vendre ensuite la pièce « restaurée » à un collectionneur ou à un touriste crédule. Bien que les peintures murales soient supposément propres à leur emplacement, leur sort n’était pas plus enviable, car l’élite toute-puissante avait le droit de se les approprier (fig. 2). Les dynasties espagnole, bourbonienne et napoléonienne qui ont régné sur Naples, les ont utilisées pour décorer les palais et en ont donné certaines à des potentats de passage. La plupart des touristes et des connaisseurs se contentaient de copies bon marché, principalement sous la forme de reproductions coloriées à la main, une technique responsable de leur simplification à l’excès et de leur allure d’impressions réalisées à la chaîne (fig. 3).

Le déplacement des peintures murales et la production massive de copies ont dénaturé la relation dynamique existant entre les œuvres, leur emplacement, leur contenu et l’espace pictural. Ces retraits ont transformé les peintures en fragments décousus et les copies ont converti les motifs intertextuels en images indépendantes. Les peintures murales appartenant autrefois à la villa de Publius Fannius Synistor à Boscoreale illustrent parfaitement ce phénomène. Au début du XXe siècle, elles ont été déplacées et vendues aux enchères à Paris, et se trouvent à présent éparpillées entre les musées de Naples, de Bruxelles, d’Amsterdam et de New York. Cette destruction prétendument pragmatique a permis, sans aucun doute, de mieux protéger les peintures, même si leur contexte d’origine a été complètement détruit. Une des peintures du deuxième style les plus importantes à Pompéi, située dans l’oecus corinthius de la Maison du labyrinthe, a été récemment endommagée, car le toit en béton censé la protéger s’est effondré. De nombreuses autres peintures se sont simplement effacées à cause des problèmes majeurs liés à la préservation d’une ville entière. En 1965, les autorités ont décidé de se concentrer sur la conservation et non plus sur les fouilles, laissant environ 22 sur 66 hectares du site enfouis. L’ampleur du problème de la conservation est telle que Pompéi restera à tout jamais sur la Liste du patrimoine mondial en péril.

Alors que des copies et des copies de copies, de même que des inventions de style antique, proliféraient à travers l’Europe, les peintures antiques « originales » se retrouvaient de plus en plus piégées dans une mise-en-abyme engendrée par ces reproductions inopinées. Ironie du sort, les peintures murales inspirées du « style antique » de Raphaël, telles que les œuvres bien préservées de la Loggia Mattei sur le mont Palatin de Rome, ainsi que les nombreuses reproductions ultérieures se sont fait connaître sous l’appellation grotesques ou grotteschi (fig. 4 et 5). L’étymologie de ce mot est révélatrice de la façon dont étaient perçues ces versions inventées. Au départ, grotesque faisait simplement référence aux thèmes issus des peintures trouvées dans des grottes, lesquelles se sont avérées par la suite être les plafonds en voûte ensevelis de la Domus Aurea, la Maison dorée de Néron (fig. 6).

 

Pompéi : tourisme et romantisme
Colosseumat Rome by Moonlight 1859 Freerick Bridell 1
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1 Lee Bridel, Frederick, The Colosseum at Rome by Moonlight, 1859, Southampton City Art Gallery.

2 Casa della Caccia Antica, vignette extraite d’une peinture murale.

3 Le Pitture Antiche D'Ercolano, 1757-92, eau-forte en couleur

4 Grotteschi d’après Raphael et Udine, Loggia, Vatican.

5 Loggia Mattei grotesque, env. 1561, Mont Palatin, Rome.

6 Grotteschi, Domus Aurea, Rome.

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