Cependant, au fil des années, grotesque s’est vu attribuer un sens relatif à tout ce qui était horriblement laid. Face à cette lecture grossière, il semble difficile pour les spectateurs contemporains d’imaginer que les générations précédentes aient pu prêter un sens symbolique à la synthèse de l’homme, de l’animal et de la végétation. Beaucoup de peintures, de sculptures et de publications du XVIIIe siècle ayant recours au style grotesque ont ouvert la voie aux adaptations modernes de films d’horreur, face auxquelles l’ancien grotteschi semble assez modéré (fig. 1 et 2).d’horreur, face auxquelles l’ancien grotteschi semble assez modéré (fig. 1 et 2).

Pompéi : substitut d’un monde grec perdu

Des publications telles que Pensées sur l'imitation des œuvres grecques en peinture et en sculpture (1755) et Histoire de l’art chez les anciens – De l’art chez les Grecs (1764), de l’historien de l’art allemand Johann Joachim Winckelmann, ont remis en question les conceptions existantes de l’art romain et ont favorisé un « renouveau grec » qui a relégué l’art romain au rang d’imitation. Dès lors, à la fin du xviiie et du xixe siècle, les peintures murales romaines étaient de plus en plus considérées comme des copies d’originaux hellénistiques « inégalables » malheureusement disparus. Des publications récentes continuent à les qualifier de la sorte sans pour autant étayer les propos tenus. Winckelmann n’essayait pas de prouver la supériorité de l’art grec en utilisant la peinture, mais en affirmant que la plupart des sculptures romaines antiques étaient des copies d’originaux grecs disparus, il sous-entendait que le talent créatif devait donc incomber aux Grecs. Avant Winckelmann, des Italiens tels que Scipione Maffei et Matteo Lucchesi avaient débattu sur des thèmes similaires en recourant à l’architecture grecque, étrusque et romaine comme exemples afin de prouver ou de réfuter la suprématie d’une culture sur une autre. Malheureusement, lorsque les notions de primauté et de supériorité entrent dans l’espace culturel, la culture elle-même en pâtit. En conséquence, les conceptions de l’art grec et romain ont été de plus en plus surfaites et les conflits résultants se font encore ressentir de nos jours. Par exemple, l’architecte et graveur Giovanni Battista Piranesi a tenté de contrer la thèse de Winckelmann en produisant des eaux-fortes et des textes qui faisaient l’éloge de l’art romain dans des termes aussi démesurés que ceux utilisés par Winckelmann dans sa description de l’art grec (fig. 3). L’artiste Henry Fuseli (1741–1825) a été encore plus loin en accusant ouvertement Wincklemann d’avoir induit en erreur plusieurs générations d’artistes allemands dont le travail était devenu, selon lui, stérile et banal, essentiellement parce qu’ils avaient adopté l’interprétation austère du classicisme grec de Winckelmann (voir Knowles, John, The Life and Writings of Henry Fuseli, 1831, Londres, vol. II, p. 13-15. Fuseli a traduit les Pensées sur l'imitation des œuvres grecques en peinture et en sculpture de Winckelmann en anglais en 1765).

Les gravures hautement fantastiques de la Rome antique exécutées par Piranesi datent de l’époque des excavations à Pompéi et à Herculanum. Elles nous offrent ainsi de précieux renseignements sur certains aspects de la psyché italienne et sur sa relation avec son passé. Son travail, ainsi que celui de ses homologues, situait les peintures murales découvertes dans un cadre culturel qui faisait la lumière sur les différentes lectures de l’époque tout en les altérant par la même occasion. Avec le recul, il est à présent évident que Piranesi et Winckelmann avaient tous deux à la fois inventé et trahi le passé, mais pour des raisons tout à fait différentes. Les recréations grandioses de la culture romaine de Piranesi reflétaient clairement des réalités exagérées, motivées par la fierté nationale à l’égard des vestiges de l’Empire romain. Bien que ses créations dans le domaine de l’architecture aient été limitées, il a grandement influencé la culture visuelle, ainsi que la conception de l’Antiquité romaine en Europe, essentiellement grâce à ses innombrables ouvrages illustrés, comme Le Antichità Romane, 1756 (« L’Antiquité romaine ») en quatre volumes et Della Magnificenza ed Architettura de’Romani, 1761 (« Grandeur et architecture des Romains »).

Pompéi : tourisme et romantisme
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