Retour vers le Présent
page header
3
bbfb
bbfb

Comprendre les filtres culturels qui s’interposent entre notre perception et la peinture murale romaine est un exercice d’une difficulté rare, car les peintures ont été mises au jour à des époques très disparates. Par exemple, les exemplaires découverts à Pompéi et à Herculanum ont émergé dans un monde déjà familier avec une forme réinventée de la peinture murale romaine, introduite par des artistes tels que Ghirlandaio, Pinturicchio, Perugino, Filippino Lippi et Raphaël. Tous s’étaient aventurés dans des espaces semblables à des grottes faisant jadis partie de la Domus Aurea, la Maison dorée de Néron (fig. 1). Les pastiches de la peinture murale romaine par Raphaël furent produits dès le début du XVIe siècle pour orner des loggias et des appartements privés du Vatican (fig. 2). Les créations de l’artiste avaient été influencées en partie par des peintures retrouvées dans le palais de Néron, ainsi que par des motifs tirés de monnaies antiques, de fragments architecturaux, de sarcophages et de pièces de poterie. Ses compositions hybrides faisaient écho aux peintures de l’Antiquité, mais ne correspondaient pas à la grammaire générale de la composition antique.

Lorsque Johann Wolfgang von Goethe vit les peintures murales de Raphaël au Vatican en 1786, il les décrivit de manière désobligeante, indiquant que « L’œil […] ne pouvait plus regarder les jeux spirituels des arabesques […]. » (Goethe, Voyages en Suisse et en Italie, trad. J. Porchat, Paris, 1878, p. 196) Il fit ce commentaire juste après sa visite de la chapelle Sixtine, dont les peintures de Michel-Ange, comme il l'écrivait lui-même alors, avaient alteré son jugement. La déception de Goethe, quand il découvrit que le grand Raphaël se réduisait à produire des pastiches décoratifs, contraste avec les commandes émises par l’élite papale de la société romaine, précisément parce qu’elle appréciait la valeur ornementale et décorative de ces productions. Si les peintures avaient renfermé le sens profond que Goethe désirait y trouver, leur origine païenne les aurait rendues inacceptables. Les pseudo-peintures murales romaines que Raphaël produisit pour le Vatican puis pour la Villa Madame devinrent rapidement des substituts du style antique, dont les seuls exemples réels restaient enfouis dans des « grottes » souterraines (fig. 3). La Cour pontificale utilisait la Villa Madame pour accueillir des dignitaires en visite et leur entourage, dont certains artistes ; en conséquence, des copies des pastiches des peintures murales romaines produites par Raphaël ont circulé dans les palaces et les maisons de maître en Europe bien avant les découvertes à Pompéi et à Herculanum.

Quand les peintures murales antiques ont finalement été exhumées en nombre dans la moitié du XVIIIe siècle, elles ont atterris dans un monde déjà doté de ses propres adaptations personnelles. La contamination esthétique était si forte qu’il était devenu impossible de séparer l’original des pastiches très en vogue, qui, assez ironiquement, accédèrent à la postérité en tant que style pompéien. La découverte de Pompéi et d’Herculanum, ainsi que leur influence sur les créations contemporaines, accéléra le processus responsable du détournement des peintures murales de leur sens symbolique originel, les rendant indissociables des images qu’elles ont contribué à créer, par exemple, les motifs retrouvés dans les recueils de Robert Adam ou de Percier et Fontaine (fig. 4).

 

 

1
2>
4
3
1. Domus Aurea, reconstitution à l’aquarelle par G. Chedanne (1861‑1940) de la « salle du Laocoon », Rouen, Musée des Beaux-Arts

2. Loggetta du cardinal Bibbiena, palais du Vatican, Rome, conçue par Raphaël et Giovanni da Udine, 1518‑19

3. Villa Madame, Rome, 1617, conception et peintures par Raphaël et Giovanni da Udine

4. Décor tiré du recueil de motifs de Robert Adam, 1760, pour le manoir Kedlestone Hall, Derbyshire