« Toute notre religion, presque toutes nos lois, presque tous nos arts, presque tout ce qui nous place au-dessus des sauvages nous vient des rivages de la Méditerranée. » (Samuel Johnson, 1776)


Cette remarque controversée de Samuel Johnson masque la véritable nature de notre relation avec la culture méditerranéenne antique. La religion, les lois et l’art sont peut-être « venus à nous » depuis les rivages de la grande bleue, mais ils nous sont toujours parvenus par le biais de sources nettement altérées, si bien que nos origines méditerranéennes sont aujourd’hui dissimulées derrière une accumulation de filtres culturels.

Le véritable paradoxe de ces filtres culturels est lié à l’effondrement du monde païen et à sa transformation en monothéisme chrétien. Les accrochages confessionnels et culturels survenus entre ces deux groupes religieux ont laissé une empreinte durable sur notre compréhension idéologique et picturale de l’Ancien Monde. Le langage du vainqueur domine systématiquement le récit historique ; ainsi, les sociétés préchrétiennes et leurs constructions sociales étaient qualifiées de « païennes », dans le sens de « barbares » ou de « diaboliques ». Les effets de ces désignations inappropriées, aussi notables qu’ils soient, paraissent bien dérisoires comparés aux récits et aux représentations visuelles plus récents  de la culture romaine, conçues par les industries du divertissement de masse et des médias. Les programmes de télévision, les films, les jeux vidéo et les parcs à thème contribuent à nous imposer une vision de la société romaine essentiellement caractérisée par le divertissement et le spectacle. Par conséquent, il est devenu pratiquement impossible pour les spectateurs contemporains de ressentir autre chose qu’une impression familière lorsqu’ils voient une peinture romaine pour la première fois. Quel que soit le lieu de cette première confrontation – dans un musée, in situ ou par le biais de reproductions –, de manière générale, l’effet est identique. Les peintures nous paraissent familières avec un naturel déconcertant, sans doute en raison de notre exposition antérieure à leurs réappropriations biaisées. Les valeurs sociales et esthétiques entérinées par ces versions dénaturées façonnent inévitablement notre relation avec l’artefact originel. Au contraire des œuvres picturales mobiles, la peinture murale romaine est par définition, spécifique au lieu où elle se trouve. Ainsi, il est d’autant plus important que notre perception de ces œuvres antiques soit guidée par le contexte qui les a vus naître et non pas par notre monde moderne.

À cause de la colonisation, des exemples de peinture murale romaine ont été retrouvés dans des lieux aussi lointains que l’Angleterre, la Jordanie et l’Afrique du Nord. Les preuves matérielles ont été retrouvées principalement sous la forme de fragments. Cette dislocation est due avant tout au délabrement des villes, mais aussi à l’intégration des peintures à l’hégémonie chrétienne qui a succédé à l’effondrement politique et social des empires. Le plus grand ensemble de preuves matérielles a été sauvegardé à Pompéi et à Herculanum. En effet, l’activité volcanique leur a réservé un sort funeste, mais les a également préservées des effets du temps. Un autre échantillon considérable a subsisté dans la Domus Aurea de Néron (ou Maison dorée), lorsqu’elle a été recouverte sans vergogne pour servir de fondations à un autre bâtiment. Cependant, de manière assez ironique, ce mélange de cataclysme et de renouveau culturel a également permis d’intégrer la peinture romaine ancienne à la trame culturelle du monde moderne. La découverte du palais de Néron sous les thermes de Trajan au début du XVIe siècle, puis de Pompéi et d’Herculanum à la moitié du XVIIIe siècle, ont fourni aux antiquaires, artistes, créateurs, architectes, poètes et écrivains une occasion extraordinaire de se confronter à la peinture murale romaine, en étant aux premières loges. Une grande partie de leur production, influencée par ces peintures, a façonné la culture visuelle de l’après-XVIIIe siècle et, ce faisant, a façonné notre compréhension des originaux.

Retour vers le Présent
Pompeii at night
page header
2
bbfb
bbfb