Changer une catastrophe en mélodrame
Les artistes peintres comptèrent parmi les premiers à élaborer des visions spectaculaires de l’agonie de Pompéi. Pour eux, sa destruction cataclysmique en est venue à renvoyer au concept de sublime tel que le définit Edmund Burke (1729‑1797) dans son œuvre influente publiée en 1756, Recherche philosophique sur l'origine de nos idées du sublime et du beau (Trad., B. Saint Giron, 2009, Librairie philosophique J.Vrin.). Ses idées ont permis de jeter les bases conceptuelles d'un nouveau style de paysage célébrant la toute puissance de la nature. Joseph Wright of Derby (1734‑1797) en fut l’un des premiers représentants ; inspiré par l’opinion de Burke que le sublime ne peut être éprouvé qu’au plus près des forces terrifiantes de la nature, « il s’est rendu en 1773 sur le mont Vésuve pour découvrir le lieu et peindre le volcan encore actif à l’époque (fig. 1). Le Vésuve et sa « victime », Pompéi, entraient en résonance avec la fascination que Joseph Wright entretenait de longue date pour la fragilité de l’être humain face à la puissance implacable de la nature. Si Wright s’est contenté d’études topographiques, reflet de son intérêt scientifique pour les volcans et son goût du sublime, d’autres artistes ont utilisé ces sujets comme symboles de châtiment divin. Un des premiers exemples de cette interprétation est la peinture de John Martin intitulée La Destruction de Pompéi et d’Herculanum (1822), dont il a ensuite réalisé une version apocalyptique, La Destruction de Sodome et Gomorrhe (1852) (fig. 2). L’œuvre de James Hamilton datée de 1864 représente un autre exemple notable (fig. 3).
La destruction de Pompéi en tant que métaphore du châtiment divin est aussi devenue un thème récurrent dans bien d’autres genres littéraires et visuels romantiques. L’exemple le plus représentatif de cette tendance a été le fruit d’un étrange ménage à trois comprenant Giovanni Pacini (compositeur lyrique italien), Karl Briullov (peintre russe) et Edward George Bulwer-Lytton (romancier anglais et membre du parti conservateur). Les versions picturales et littéraires respectives des Derniers Jours de Pompéi produites par Briullov et Lytton ont eu une influence particulièrement durable sur les perceptions populaires et académiques de la peinture murale romaine. Dans sa publication très influente de 1899 Pompeii – Its Life and Art, l’éminent archéologue August Mau a corrigé une « erreur naturelle » mineure du texte de Lytton (Macmillan edition, p. 213), tout en échouant à signaler à son lectorat que le postulat religieux du livre était complètement faux. Néanmoins, les écoliers qui ont lu les Derniers Jours auront sans aucun doute constitué plusieurs générations de professeurs et d’archéologues spécialisés sur Pompéi.
L’opéra de Giovanni Pacini, L’ultimo giorno di Pompei, a été joué pour la première fois au théâtre San Carlos de Naples en 1825. Il impliquait des amants maudits, des prétendants jaloux et comploteurs, un châtiment ainsi que la première représentation scénique d’un volcan en éruption. Du point de vue de ce chapitre, l’intérêt de cet opéra réside dans la quasi-certitude que Briullov en a emprunté le cocktail d’amours maudites pour le placer dans une cité à la voûte spectaculaire et y ajouter un ingrédient encore plus explosif. En effet, il a introduit une dimension religieuse qui jouait sur l’attitude contemporaine vis-à-vis du paganisme. Il est difficile de savoir s’il était conscient qu’aucune communauté chrétienne n’existait alors à Pompéi. En revanche, ce rajout a contribué de manière indéniable à la notoriété de cette peinture. En 1833, elle fut exposée et encensée dans plusieurs villes majeures d’Europe, pour devenir la plus célèbre version picturale du thème de l’éruption, en plus de donner naissance à une nouvelle école de peinture russe (fig. 4). Des croquis datés de Briullov témoignent de sa présence à Naples l’année de la première de l’opéra de Pacini. Par ailleurs, Briullov semble reconnaître sa dette envers Pacini en insérant dans la peinture les portraits des filles du compositeur, Amazilia et Giovanna. Celles-ci sont représentées dans le creux des bras d’une femme dépeinte sous les traits de la Comtesse Samoilova, également la mécène et l’amante présumée des deux hommes.
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