La composition de Karl Briullov est en grande partie imaginaire, à l’exception de quelques éléments factuels tirés du témoignage visuel de Pline le Jeune, pour les éclairs et la cendre tombant du ciel. Les ajouts de Briullov ne sont pas moins spectaculaires, et opposent des récits d’avarice, de cupidité et d’égoïsme avec des allégories de l’amour, de la gentillesse et du sacrifice de soi. Son ajout le plus controversé reste la figure d’un prêtre chrétien portant une torche et d’un brûleur d’encens, deux objets sacramentels symbolisant le salut (fig. 1). Le personnage semble s’efforcer de sauver les habitants frappés par le malheur, contrairement au prêtre païen qui est représenté en train de fuir l’éruption, soucieux de sauver sa propre vie et les objets en or qu’il transporte (fig. 2). Contrairement à l’écrivain réputé Sir Walter Scott, Lytton n’a pas vu et encensé la peinture dans l’atelier de Briullov à Rome, mais seulement lorsqu’elle fut exposée publiquement à Milan en 1833. Un an plus tard, il publiait Les Derniers Jours de Pompéi après une brève visite sur le site de fouilles en Campanie. Lytton a emprunté la confrontation chrétienne fallacieuse de Briullov pour en faire le motif central de son ouvrage. Le succès international du roman a ensuite redéfini Pompéi, transformant un phénomène géologique en châtiment infligé par Dieu à une cité hédoniste. Même si les lecteurs de la version de Lytton des Derniers jours de Pompéi se font rares, le roman continue à exercer une certaine influence par le biais de ses nombreuses adaptations au cinéma et à la télévision. La plupart d’entre elles reflètent le portrait de Pompéi exécuté par Lytton, une imitation vulgaire et décadente du monde classique grec. Ce faisant, elles ont aussi trompé le spectateur, l’amenant à penser que la peinture murale romaine était essentiellement décorative et dépourvue de sens symbolique. Contrairement à la peinture de Briullov, le roman de Lytton se déroule dans différents intérieurs domestiques. En réalité, seules 19 sur les 409 pages du livre sont utilisées pour décrire l’éruption. L’auteur emploie sans arrêt des références à la culture romaine et aux peintures murales en particulier, pour créer une atmosphère sensuelle conçue pour soutenir l’un des thèmes secondaires mais cruciaux du livre, la décadence romaine.
« La pureté du goût des Pompéiens dans la décoration peut être contestée. Ils adoraient les couleurs voyantes et les dessins bizarres. Ils peignaient souvent le bas de leur colonnes d’un rouge vif sans teindre le reste ; ou quand le jardin était petit ils cherchaient à l’étendre pour la vue, en trompant l’œil par la représentation d’arbres d’oiseaux de temples sur les murs etc. en perspective ; grossiers artifices que Pline lui-même adopta et encouragea avec une vanité ingénue. » (fig. 3) (Le Dernier Jour de Pompéi, Lytton, Collins, 1953, p. 37, trad. H. Lucas, 1834).
Le mépris de Lytton pour le goût romain et sa vénération de la culture grecque transparaît au fil du livre. Glaucus, le héros, est d’origine grecque. Il est intéressant de remarquer que les angoisses de l’auteur avant la publication, et dont il fait part dans une lettre à son ami et futur Premier Ministre Benjamin Disraeli, ne portaient pas sur sa critique grossière des valeurs artistiques romaines mais se concentrait plutôt sur la « […] peur de déplaire aux femmes. Elles ne savent ni apprécier les intrigues ingénieuses, ni les arrangements ingénieux. » Il n’avait aucune raison de s’inquiéter puisque les deux sexes firent honneur à son livre ; de nombreux exemplaires ont été écoulés, sans compter que plus de 67 éditions ont vu le jour jusqu’à présent (pour plus de détails sur les nombreuses éditions, voir Laurentino Garcia y Garcia, Nova Bibliotheca Pompeiana, 250 Anni de Bibliografia Archeologica, 2 vols., Bardi Editori, Rome, 1998). Par ailleurs, le portrait dressé par Lytton de Pompéi et du goût romain ont ensuite altéré la perception populaire de la cité, de ses habitants et de sa culture visuelle. Le détournement pervers de l’histoire instauré par Lytton ne s’est pas limité aux multiples éditions, puisque les Derniers Jours ont également donné lieu à des numéros de cirque, des spectacles pyrotechniques, des productions scéniques et une pléthore de films (fig. 4). Ces adaptations ont été vues à l’échelle mondiale par un public qui les a avidement consommées, car elles incarnaient un mélange exaltant de passion, d’intrigue et de spectacle.
|