Païens et Chrétiens


L'histoire romaine utilisée à des fins de propagande était un thème récurrent dans l’histoire du cinéma à ses débuts en Italie et en Amérique par la suite, principalement en raison du soutien financier offert par les banques catholiques pour les films abordant la tyrannie des païens envers les chrétiens (voir Wyke, Maria, Projecting the Past : Ancient Rome, Cinema, and History, Routledge, New York, 1997). Cette démarche a engendré une prolifération de scripts mettant en parallèle la bonté, l’abnégation et le martyre des chrétiens avec les régimes brutaux et répressifs des païens, bâtis sur la violence gratuite et l’hédonisme.

Compte tenu de ce sous-entendu, les récits aux relents de christianisme racontant les derniers jours de Pompéi, sous forme de livre pour Edward Bulwer-Lytton et de peinture pour Karl Briullov, ont été déterminants pour les versions cinématographiques ultérieures, contrairement à l’opéra romantique, païen et dépourvu de tout christianisme de Giovanni Pacini. L’adaptation cinématographique franco-italienne du roman de Lytton, Les derniers jours de Pompéi en 1959, met en scène une histoire d’une absurdité grossière, centrée sur une persécution de chrétiens, bien qu’elle s’appuie en même temps sur de nombreuses caractéristiques propres aux films « cowboy et indien » d’Hollywood. Ce glissement étrange est en partie dû à l’intervention du coréalisateur du film, Sergio Leone, connu plus tard pour ses célèbres « western spaghetti ». La séquence d’ouverture du film montre des cavaliers masqués armés d’arcs et de flèches en route pour massacrer les habitants d’une villa isolée (fig. 1). Avant de partir avec leur butin, ils s’identifient en tant que chrétiens en dessinant une croix sur un des murs de la villa (fig. 2). Les assaillants s’avèrent être des soldats romains payés pour discréditer la communauté chrétienne locale, même s’il n’existait aucune communauté de ce genre à Pompéi. De nombreuses images figuratives tirées de peintures murales peuvent être reconnues dans le film, comme celles trouvées dans la Villa des Mystères, et sont placées de façon stratégique afin de renforcer l’aspect à la fois violent et sexuel de la scène (fig. 3 et 4).

La promotion d’idées politiques et religieuses sous-jacentes était très fréquente dans les débuts du cinéma italien. Les films financés par une institution catholique confrontaient le salut chrétien aux fléaux de l’Empire romain, alors que les films fascistes mettaient en scène des héros nationaux païens victorieux. Cabiria, le récit chauvin de Giovanni Pastrone portant sur la soumission de Carthage, a été utilisé par Mussolini pour légitimer sa campagne en Afrique du Nord. Ces idéologies concurrentes menaient leurs batailles propagandistes sur les plateaux de cinéma et s’appropriaient la peinture pompéienne afin d’apporter une légitimité historique au scénario. Le film de Federico Fellini, Fellini Roma (1972), contient des séquences qui tournent en ridicule les techniques de réalisation propagandistes des chrétiens et des fascistes dans les débuts du cinéma italien. Lors de la première scène, nous pouvons voir une caricature d’une famille catholique sur le point de dîner. Lorsque la voix du Pape retentit à la radio, les femmes et les enfants tombent immédiatement à genoux et prient en direction de la radio. Témoin de la scène, le père en colère gesticule, car son dîner ne lui est pas servi. Une des séquences suivantes montre la même famille jouant des coudes pour avoir des sièges au cinéma afin de regarder, la bouche grande ouverte et les yeux emplis de larmes, un film muet narrant de façon mélodramatique le martyre des chrétiens à la merci des gladiateurs et des lions. Un prince romain affaibli choisit mélodramatiquement de mourir avec une chrétienne, belle et pauvre, plutôt que de s’allier à l’impératrice diabolique (fig. 5 et 6).

La peinture murale romaine et la culture cinématographique
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Dionysiac Frieze 3
Gladiatorial scenes from Felini's Roma 6
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