Ce chapitre se penche sur la théorie selon laquelle la peinture murale des intérieurs romains était révélatrice de la poursuite du luxe à titre privé et d’un statut à titre personnel. Les théories de plusieurs spécialistes contemporains en histoire sociale s’appuient sur cette hypothèse, très différente des conceptions de la fin du XIXe et du début du XXe siècle où les historiens pensaient que la maison romaine et son contenu créaient un espace semblable à un sanctuaire visant à préserver les valeurs et les aspirations familiales (Albert Grenier, Franz Cumont, Karl Schefold et coll.).

Depuis 1980, de nombreuses publications ont fait référence aux peintures murales des intérieurs privés de Pompéi et d’Herculanum en tant que preuve indirecte du luxe et manifestation d’une situation personnelle au sein de la domus (maison et maisonnée). Ces parutions, ipso facto, définissent la peinture murale comme un luxe car leur réalisation était coûteuse et était considérée comme une représentation du désir de posséder un « palais » privé. Ces écrits reflètent un trope très fréquent dans la littérature de fiction romaine, dont le Satyricon est un exemple. Attribuée à Pétrone, env. 27‒66 apr. J.-C., cette première forme de roman de même que son pendant moderne, Les derniers jours de Pompéi, écrit en 1834 par Edward Bulwer-Lytton, Lord victorien et politicien (1803–1873), ont été en grande partie responsables du nouveau statut de Pompéi en tant que centre tristement célèbre du plaisir romain, où Lytton a introduit une communauté chrétienne fictive luttant contre l’hédonisme digne de Trimalcion et la « cruauté païenne ».

Dans le roman mélodramatique de Lytton, la cruauté païenne est synonyme de luxe et est personnifiée par Arbacès, le prêtre « maléfique » d’Isis, finalement consumé par les feux rédempteurs du Vésuve, tout comme ses gains acquis de façon malhonnête grâce à ses supercheries liées aux croyances superstitieuses. Nul besoin de préciser que les bons chrétiens, incarnés par Ione et Glaucus, échappent au châtiment des dieux. L’exposition de 2013 The Last Days of Pompeii : Decadence, Apocalypse, Resurrection au Paul Getty Villa Museum de Malibu, en Californie (modelé sur la villa des Papyrus d’Herculanum) explore cette combinaison dynamique d’un événement géologique et d’un roman mélodramatique.

De façon quelque peu ironique, un portrait de la société romaine digne du Satyricon a réapparu lors du boom économique au début des années 1980 lorsque des spécialistes en histoire sociale ont utilisé les éléments exhumés des maisons romaines comme indicateurs du statut social. Étant donné que les peintures murales faisaient partie des vestiges socioculturels les plus visibles, elles sont devenues synonymes de luxe et ont donc perdu leur sens premier. L’interprétation de l’art en tant que preuve révélatrice du luxe nécessite donc, alors,bien plus qu’une lecture superficielle de celui-ci et de son contexte social. Malheureusement, une telle lecture n’a pas été correctement réalisée, car les approches sociologiques des artefacts sont bien trop souvent prédéterminées par des sources littéraires, auxquelles les artefacts sont alors rendus conformes. Katherine Dunbabin fournit un exemple éloquent de ce phénomène dans son étude « Convivial spaces : dining and entertainment in the Roman villa » (Dunbabin,1996, JRS vol. 9, p. 66‒80). Après avoir informé le lecteur des récits les plus licencieux sur les banquets, elle souligne ensuite : « Je pense que nous devons en conclure que, même dans les riches villas, les dîners extravagants n’étaient pas habituels à la fin de la République et au début de l’Empire, malgré ce que disent les livres. » En d’autres termes, les preuves physiques, à savoir des salles à manger de taille modeste, sont en contradiction totale avec les descriptions littéraires de banquets copieux.

 

La peinture murale et la maison en tant que palais
Sciliy Arcgaeological Museum
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Peinture murale représentant un masque et des guirlandes de fruits suspendues (Corne d’abondance) et drapées de rubans de fiançailles, Musée archéologique de Palerme, Sicile.