En réalité, le Satyricon n’est pas tant une critique du luxe per se, que des aspirations des classes inférieures visant à acquérir une version plus médiocre de cet apanage. Son auteur aurait été l’« arbitre de l’élégance » de Néron et, en tant que tel, n’adhérait pas au luxe, mais seulement à son acquisition « fade » et « vulgaire » par un esclave affranchi et « nouveau riche » comme Trimalcion. Andrew Wallace-Hadrill adopte une position similaire aux écrits de Cicéron et de Pline, lorsqu’il fait remarquer que ces auteurs critiquaient le luxe d’un point de vue moral afin de renforcer subrepticement la division des classes (Wallace-Hadrill 1990, p. 147). Cette attitude indique que la consommation du luxe par les classes inférieures s’était tellement répandue que la distinction des différentes classes, axées auparavant sur la propriété et la richesse, n’était désormais plus appropriée ou efficace. L’utilisation controversée du terme « luxe » est alors elle-même devenue problématique. Après tout, si beaucoup de personnes possédaient des peintures murales et des sols en mosaïque, ils ne pouvaient plus être catégorisés en tant qu’objets de luxe puisque, pour reprendre une expression moderne, ils étaient devenus des « biens produits en série ». Il est également intéressant de constater que la liste des objets luxueux élaborée par Horace ne mentionne aucune peinture murale (Ép. 2.2.180-2).

Même si John D’Arms, dans Commerce and Social Trading in Ancient Rome (1981), critique l’utilisation de Trimalcion par Michael Rostovtzeff, éminent spécialiste en histoire sociale de l’Antiquité, pour illustrer le profil du Romain « typique », il y mentionne néanmoins le personnage fictif environ cent quatorze fois, en comparaison avec le personnage historique C. Sempronius Rufus, dont le nom n’apparaît que vingt-cinq fois. Est-ce là un exemple du triomphe de la fiction sur la réalité ?

Des historiens plus récents de la Rome antique, à orientation sociale, ont eu recours aux cadres social et économique créés par des personnes comme Michel Rostovzteff et John D’Arms afin d’attribuer une position sociale aux peintures murales et, dans certains cas, de les critiquer sur le plan moral et éthique, alors que l’ombre omniprésente de Trimalcion plane en arrière-plan. Dans le livre de Paul Zanker, Pompeii – Public and Private Life, Trimalcion est vraisemblablement un « non-dit », apparaissant finalement à l’avant-dernière page pour résumer l’hypothèse du livre selon laquelle Pompéi était envahie par les nouveaux riches de la classe moyenne qui tentaient d’imiter le luxe aristocratique des palais dans leurs environnements domestiques. Malgré que Trimalcion soit décrit comme « le personnage grandiose et prétentieux de Pétrone », il reste néanmoins utilisé pour définir le prototype romain de « l’esclave affranchi indépendant » (Zanker 2000, p. 201‒202).

Luxe et décadenc

Les historiens qui ont inscrit les peintures murales dans les cadres théoriques gouvernés par des termes comme « luxe » se refusent toujours à préciser son sens, de manière relative ou absolue. Un exemple extrême est le livre de Paul Zanker, cité ci-dessus, qui utilise mainte fois le terme sans jamais le définir. Dans l’annexe de ce chapitre, cet ouvrage sert de base à une étude de cas afin d’illustrer l’usage problématique de la peinture murale pour démontrer des théories sociologiques. Andrew Wallace-Hadrill dans The Social Spread of Roman Luxury met en évidence la nécessité de définir le terme et tente effectivement de fournir une définition (Wallace-Hadrill 1990, p. 148‒149). Cependant, au vu du rôle de pivot joué par le concept de luxe dans le texte, cette démarche semble insuffisante.

 

Le peinture murale et la maison en tant que palais
Cave canem
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Cave Canem, mosaïque, Casa del Poeta Tragico, Pompéi.

Le Satirycon ne mentionne pas les peintures murales en tant qu’indicateur de luxe ; au contraire, il déplore par moments le fait que les peintures anciennes n’étaient pas traitées avec un plus grand soin et souvent destinées à s’effacer. De façon ironique, parmi les références à la peinture murale les plus détaillées se trouve celle du personnage principal effrayé par l’image apotropaïque d’un chien peint sur un mur à l’entrée de la maison de Trimalcion (chapitre XXIX, trad. angl. par Firebaugh, G., Project Gutenberg, 2006 [Ebook #5225]). La mosaïque Cave Canem à l’entrée de la Casa del Poeta Tragico exerce une fonction similaire et sa présence dramatique, entre autres, a incité Bulwer-Lytton à utiliser cette maison comme modèle pour celle de son héros dans son roman mélodramatique Les derniers jours de Pompéi (1834).