Le texte suivant met en évidence les idées principales qui m’ont conduit, intuitivement, à façonner le processus de traduction des dessins en trois dimensions initié dans les années 1990. Il explique également que la plupart des recherches que j’ai menées depuis lors ont révélé que bon nombre des premières réponses spontanées que j’avais apportées aux questions que me posaient les dessins étaient plus révélatrices que je ne l’avais pensé. A ce sujet, je tiens à remercier les biographes de Picasso comme les nombreux érudits qui ont écrit à son sujet :ceux-ci sont cités tout au long de cet essai . Peu de temps après la réalisation des versions tridimensionnelles à partir des dessins, celles-ci ont été exposées au Freud Museum de Londres en 1999, dans une exposition intitulée BURIAL organisée par la directrice de l'époque, Erica Davies, accompagnées d'un texte d'introduction de l'historien de l'art et critique Graham Coulter-Smith.* Pendant la planification de l'exposition , j'ai pris la décision d'exposer les bronzes d'Une Anatomie avec un assortiment d'articles cosmétiques féminins. Cette juxtaposition apparemment bizarre était motivée par une volonté de redonner vie à ces figures que j'avais, dès le départ, toujours considérées comme des femmes squelettiques en quête d'une force vitale.
À la recherche du secret codé
Pendant les premières années où Picasso a pu garder sa vie privée et que les commentateurs de son travail l'ont ,dans un premier temps, respectée, le monde de l'art s'est contenté de discuter de la polysémie de son œuvre. Cependant, à mesure que des informations plus personnelles émergeaient, la tentation d'analyser son travail sur fond de détails biographiques devenait irrésistible. Ceux qui ont mis en garde contre cette approche se sont rapidement retrouvés en minorité, en grande partie parce que l'habitude de Picasso de tout dater méticuleusement offrait l'occasion idéale d'aligner son art sur les détails biographiques découverts. Le spécialiste et biographe de Picasso, John Richardson , le premier à décrire les dessins d'Une anatomie comme des « sculptures conceptuelles » représentant sa muse d'alors Marie-Thérèse Walter sous la forme de « figures féminines à tête d'épingle » (Richardson 2021:19; 2007: 488). est soutenu par l'observation d'Elizabeth Cowling selon laquelle "l'histoire d'amour de Picasso avec Marie-Thérèse Walter a coïncidé avec l'une de ses périodes les plus fertiles en tant que sculpteur. Le visage et corps de la jeune femme ont suscité l'envie irrésistible de sculpter dans un style puissamment volumétrique et ont inspiré des œuvres allant du naturalisme relatif de portraits reconnaissables à l'abstraction biomorphique extrême dans laquelle ses traits déterminants peuvent à peine être détectés ». (Cowling 2011: 257). Le fait que Marie-Thérèse ait été la muse de Picasso lors de la réalisation des dessins renforce l'observation de Richardson, qui est rendue encore plus crédible par le fait que ces figures abstraites ont des attributs féminins: des paniers pliés et des voies d’eau en v déguisés en vagins. Des boules sont aussi parfois suspendues à des cordes de sorte qu'elles signifient de manière ambiguë soit les seins, soit les fesses. Ces formes quasi humaines sont maintenues ensemble par des armatures semblables à des meubles en forme de tables ou de chaises, ce qui donne aux personnages une apparence squelettique surréaliste.
Fig.3 Picasso. Une Anatomie : deux femmes et un homme ithyphallique androgyne, dessin, 25-2-1933
Fig.4 Owen (d'après Picasso Fig.3). Homme ithyphallique androgyne, bronze, 1995
La théorie selon laquelle toutes ces figures sont calquées sur Marie-Thérèse est quelque peu remise en cause par le fait que parmi le groupe se trouve une figure ressemblant à un pénis sur pattes, dont l'érection fait penser à un ancien demi-dieu ithyphallique, semblable aux représentations trouvées sur les vases grecs antiques et sur les sculptures talismaniques. Plus mystérieusement encore, cette figure phallique semble être androgyne car elle possède également un vagin (Figs. 3-4). Si l'image de l'hermaphrodite n'est pas rare dans l'histoire de la peinture et de la sculpture, il est rare qu'un personnage soit représenté avec à la fois des organes génitaux masculins et féminins. Puisque l’utilisation que fait Picasso de l'imagerie n’est jamais laissée au hasard, cette juxtaposition sexuelle pourrait bien être la clé pour déverrouiller ces dessins.