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Gares et Minotaures : la notion de genre dans l’œuvre de Giorgio de Chirico et de Pablo Picasso
Picasso l'artiste est devenu Picasso le voyeur. Ne parvenant plus à s'engager pleinement dans son sujet, l'artiste se dépeint plutôt comme un clown vieillissant, un spectateur de sa propre création. Il sollicite notre empathie, voire notre sympathie, tout en se réappropriant son deuil narcissique par le biais de sa puissance créatrice encore virile d'artiste (Fig.1).
L'angoisse causée par la perte, l'image de soi, la sexualité exacerbée et la mélancolie sont autant de préoccupations psychophysiques traditionnelles. En revanche, la mesure dans laquelle ces dernières obsédaient, de manière consciente ou non, Picasso et de Chirico était loin d’être conventionnelle. Il ne fait aucun doute que la vie et l’art des deux artistes évoluaient en symbiose. Picasso l’a ouvertement reconnu en datant méticuleusement chaque chose qu’il produisait, laissant ainsi une autobiographie artistique que d’autres pourraient tenter de déchiffrer. Par contre, il n’est pas certain qu’ils se soient livrés à une analyse personnelle profonde afin de générer leur œuvre En fait, ils ont peut-être consciemment évité la tentation de réfléchir intellectuellement sur leur œuvre, préférant chérir la muse qui a propulsé instinctivement et émotionnellement leur travail. Et, peut-être encore plus important, ont-ils voulu s’efforcer de voir le monde à travers les yeux de l’enfant. De Chirico et Picasso préféraient sans aucun doute la perspicacité poétique à la dissection intellectuelle.
De manière générale, il est également clair que tous deux étaient tout à fait capables de faire des observations objectives concernant leur sexualité et leurs différentes préoccupations face à la mort. Vers la fin de sa vie, Picasso a affronté sa peur de la mortalité en se livrant notamment à une forme d’autodérision liée à son impuissance, comme en témoignent les autoportraits qu’il a produits peu avant son dernier souffle. Dans ceux-ci, après une vie d’engagement œdipien vis-à-vis de la lignée matriarcale, il apparaît sous les traits d’un singe (fig.2). En réexplorant la femme/mère, il entrait à nouveau symboliquement dans son ventre, peu avant sa mort, touchant ainsi du doigt l’immortalité. De Chirico, en vue du même objectif, a préféré emprunter la fausse-porte paternelle (de l’Antiquité) dont la clé lui a été fournie par l’art perdu de la perspective métaphysique (Fig.3-4).
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1. Pablo Picasso Vieux Clown avec une charmante femme 1968-71
2. Pablo Picasso Autoportrait 1972
3. Giorgio de Chirico Intérieur métaphysique 1971
4. Giorgio de Chirico Ulysse revient 1968