Même ses peintures cubistes, qui semblent à première vue constituées d'intérieurs et de natures mortes, se révèlent désormais comme des portraits féminins codés. Picasso, afin d’illustrer cette constatation au conservateur/critique Alfred Barr, dessina un jour les contours d’une de ses natures mortes cubistes pour faire ressortir la silhouette d’une femme. Il aurait prétendument ajouté qu’elle était donc… une véritable nature morte.
Pourquoi ce codage était-il nécessaire? Une explication quelque peu simpliste serait que ces femmes ainsi codées étaient des maîtresses. L’ironie inhérente à sa démarche est que, même si Picasso a inclus tant de figures féminines dans son travail, il a rarement dessiné la forme féminine à partir d’un modèle, préférant utiliser sa mémoire pour servir de médiateur à son oeuvre, et se montrer ainsi en créateur tout puissant.
La sexualité de Picasso était dans une certaine mesure liée au machisme espagnol, à la virilité et à la domination masculine, illustrés par le matador, le torero et la corrida. Or, ce rituel sanglant ne symbolise pas la dualité opposant un homme et un taureau mais s'apparente plutôt à un ménage à trois. Le troisième protagoniste est symbolisé par la muleta ou cape rouge signifiant la présence féminine dans ce conflit, à la fois comme incitatrice et protectrice (le sens littéral de muleta est béquille, dont la forme originelle était en V), ce qui suggère qu’elle a pour objectif de soutenir l’homme – comme une mère.. Pourtant, entre les mains du torero, la muleta flotte comme la jupe d’une jeune femme, ce qui provoque le taureau et l’incite à charger (Fig. 3).
Le toréador et le taureau sont fréquemment utilisés comme symboles sexuels dans l’œuvre de Picasso. Le taureau revêt parfois les traits classiques du minautore, le cruel assassin d’hommes héroïques qui possédait les femmes. Le minautore, le taureau et le matador font tous trois parties des projections autobiographiques des diverses représentations personnelles de l’artiste. Le point culminant de la corrida, le rituel de la mise à mort du taureau en lui enfonçant une épée entre les omoplates, ainsi que les moments les plus passionnels de l’acte sexuel, sont délibérément amalgamés dans l’œuvre ultérieure de Picasso (Fig.3). Alors que le matador tue symboliquement le taureau/minautore pour représenter le rituel de suppression des passions bestiales de l’homme, l’artiste s’autorise ces mêmes passions : son épée est enveloppée dans la muleta. La pulsion sexuelle synonyme de volonté de vivre faisait encore partie de l’agenda de Picasso même dans ses dernières années. En 1966, alors qu’il était âgé de plus de quatre-vingts ans, une opération de la prostate le rendit impuissant. Ce handicap physique le poussa à produire une série d’eaux-fortes aussi troublantes qu’érotiques.