Les reconstitutions de décors de théâtre antique, partiellement réinventées, ont inévitablement engendré un rapprochement entre les peintures murales et les décors peints, sous forme d’un lien tautologique, où ces œuvres domestiques étaient considérées comme issues des décors théâtraux. Dans la mesure où les décors de théâtre antique n’existaient plus, la tentation de présenter les peintures murales du deuxième style comme des copies de ces originaux disparus s’est avérée irrésistible. Ces reproductions modernes par défaut sont devenues les preuves de facto que les peintures murales antiques représentaient en effet des décors peints de théâtre. En raison de ce lien tautologique, les peintures murales se sont vu vider de leur valeur symbolique, car considérées comme des copies de décors de théâtre, elles n’étaient plus dignes d’être l’objet d’études sémantiques et sémiologiques. Associées aux décors peints de théâtre, les peintures murales ont été privées de toute valeur intrinsèque, si ce n’est celle de « spectacle », que des historiens de renommée tels que Paul Zanker ou Eleanor Leach ont employé comme une preuve de la consommation du nouveau riche, marquée à la fois par l’extravagance et par le désir de s’attribuer en apparence un certain statut social. Cet usage abusif a accéléré la sortie des peintures pompéiennes hors de leur contexte original, les privant ainsi de leur valeur iconique. Pour plus d’informations sur ce thème, voir mon chapitre La peinture murale et la maison en tant que palais. De manière inespérée, certaines unités de recherche, notamment l’équipe du King's College 3D Visualisation Lab, responsable des reproductions numériques des peintures murales du deuxième style, n’ont pas cédé à la tentation d’utiliser ces travaux pour monter des décors de théâtre réinventés. À la place, elles ont préféré reproduire une sélection spécifique de peintures murales, jugées comme étant les plus similaires aux décors peints.

Outre les preuves visuelles, le lien direct entre les antiques peintures murales domestiques et les décors peints de théâtre repose exclusivement sur une base théorique constituée de textes latins, à le fois ambigus et polémiques, issus des Livres V (6.9) et VII (5.2) de l’ouvrage de Vitruve intitulé De l’architecture (ou Les dix livres d’architecture de Vitruve, écrits probablement à la fin du premier siècle av. J.-C.). La découverte, au tournant du XXe siècle, de peintures murales dans le cubiculum M de la villa di P. Fannius Synistor à Boscoreale, près de Pompéi, est à l’origine de cette utilisation acharnée des écrits de Vitruve (figs.1&2). Cette pièce s’est vu attribuer une signification toute particulière, car elle semblait corroborer l’observation de Vitruve rencontrée dans le Livre VII (5.2), précisant que des thèmes tragiques, comiques et satyriques étaient dépeints dans les peintures murales domestiques. Une dimension plus complexe a été insufflée à cette observation apparemment inoffensive, dans la mesure où Vitruve a utilisé des termes latins similaires dans le Livre V (6.9) pour décrire les décors peints dans un style tragique, comique ou satyrique. Malgré l’ambiguïté omniprésente, ces textes sont devenus la preuve écrite de la reproduction des décors peints de théâtre dans les peintures murales domestiques. Au sein de ce chapitre, cette matière fera l’objet d’une étude plus approfondie dans la partie intitulée La découverte de la villa P. Fannius Synistor et le casse-tête du scaenarum frontes – scaenea frons.

La Maison en tant que théâtre
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1 Cubiculum M - Villa P Fannius Synistor, Boscoreale, près de Pompeii

© Metropolitan Museum of Art New York
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