Tout au long de sa vie, De Chirico a eu recours au motif du mur. Présent dans des centaines de ses tableaux, il est parfois à peine visible, comme dans L’inquiétude du poète, 1913 (fig. 1). Inversement, dans des peintures comme Le Sarcophage (date), il acquiert une dimension explicite (fig. 2). Le motif du mur en tant que barrière physique entre le monde visible et invisible est également représenté de diverses manières. Dans une œuvre telle Les Muses inquiétantes, 1917, le plan du sol extrêmement raccourci devient un substitut pour le mur (fig. 3). La perspective de cette surface aplanie, peut-être le dessus d’une table, donne l’impression d’un plan presque perpendiculaire à notre angle de vision. Le dessus de cette surface raccourcie se termine à hauteur de la limite probable d’un motif de mur similaire. Il est quelque peu ambigu que les lignes orthogonales sur le plan du sol s’opposent avec l’horizon naturel des édifices qui s’élèvent derrière elles : il en résulte la sensation de deux plans distincts, un phénomène semblable à celui créé par son utilisation du mur pour diviser la toile et indiquer de grands espaces.
Dans Histoire de la Peinture moderne paru en 1959, Herbert Read inclut cette citation de De Chirico au sujet du mur : « Parfois l'horizon est défini par un mur derrière lequel s'élève le bruit d'un train qui disparaît. Toute la nostalgie de l'infini nous est révélée derrière la précision géométrique de la place. Nous éprouvons les émotions les plus inoubliables lorsque certains aspects du monde dont nous ignorons complètement l'existence, nous confrontent soudainement avec la révélation de mystères qui restaient tout le temps à portée de nous, que nous ne pouvons pas voir parce que nous avons la vue trop courte et que nous ne pouvons pas sentir parce que nos sens sont mal développés, leurs voix mortes nous parlent de très près, mais elles nous paraissent comme des voix venues d'une autre planète. » Le motif du mur dans les peintures de De Chirico et dans les peintures murales du style tragique représente le symbole et le contexte du drame. Tel le chœur dans la tragédie grecque que Schiller décrit comme « un mur vivant », il informe l’audience au sujet de la tragédie dramatique et l’aide à s’en détacher. Le signifiant primaire permettant au drame tragique d’apparaître derrière le mur est indubitablement la tholos, le sanctuaire circulaire fait de colonnades dépeints par De Chirico dans ses peintures de chevalet et présent dans de nombreuses peintures murales du style tragique (fig. 4–5).