La réapparition de cette expression latine dans le dictionnaire de Smith en 1890, presque deux mille ans après son unique apparition dans De l’Architecture de Vitruve peut bien avoir influencé son association ulérieure avec la façade à colonnes à l’arrière de la scène. Pourtant, dans ce contexte, je ne pense pas que sa réapparition servait à démontrer que Vitruve utilisait cette appellation pour qualifier l’arrière de la scène ou le front de scène, selon votre emplacement par rapport à la scène en question. Je pense que cette expression a été introduite dans la traduction anglaise pour clarifier la référence au « mur située à l’arrière de la scène », que Vitruve décrit dans ces textes comme le front de scène (scaenae frons). La traduction récente de Morgan n’a pas nécessité une telle clarification, car elle se rapprochait beaucoup plus du texte source en latin : « Taking that one of these triangles whose side is nearest to the scaena, let the front of the scaena be determined by the line where that side cuts off a segment of the circle (A-B), and draw, through the centre, a parallel line (C-D) set off from that position, to separate the platform of the stage from the space of the orchestra ». Morgan, dans sa traduction, se permet également de différencier, sur le modèle de Vitruve, la « scaena » ou la façade à colonnes à l’arrière de la scène, de la scène en soi dite « proscaenii pupitum ». Gwilt avait entrepris la même démarche dans sa traduction antérieure : « Of these triangles, the side of that which is nearest the scene will determine the face thereof in that part where it cuts the circumference of the circle. Then through the centre a line is drawn parallel to it, which will separate the pulpitum of the proscenium from the orchestra. ». Bien que cette traduction soit moins claire que celle de Morgan, la même distinction est réalisée entre « pulpitum du proscenium » signifiant la scène surélevée et la « façade de celle-ci », la façade en face de laquelle jouent les acteurs. Gwilt emploie le terme italien scena pour désigner la scène alors que Morgan utilise le terme latin scaena.
Anthony Rich , dans son ouvrage publié en 1874, Dictionary of Roman and Greek Antiquities, désigne la façade à l’arrière de la scène sous le terme de « scena ». C’est l’usage que l’on retrouve dans tous les autres dictionnaires avant et après cette période, à l’exception de la publication de Smith de 1890. "At the back of the stage, there was a lofty wall of brick or masonry (scena, e e e) which formed the permanent scene of the theatre, with three grand entrances for the chief actors ;..." (Rich 1874 : 655) (fig.1)
En 1867, dans son œuvre intitulée Pompeii: Its History, Buildings, And Antiquities, Thomas H. Dyer a tenté de nommer, avec intelligence, la façade à colonnes à l’arrière de la scène : « The ancient scene was not, like that of the modern stage, capable of being shifted. It consisted of a solid building (scena stabilis), representing the facade of a royal palace, and adorned with the richest architectural ornaments. » (p. 193). La tentative de l’auteur, datant de la fin du XIXe siècle, de donner un nom logique à cette façade permanente s’est heurtée à un mur d’incompréhension et, environ deux siècles plus tard, le terme scaenae frons et non scena stabilis a commencé à apparaître dans des publications académiques de grande renommée, spécialisées dans l’histoire du théâtre romain et grec.
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