On peut comprendre pourquoi des premiers historiens du théâtre comme Dörpfeld et Reisch se sont intéressés à cette association en latin de scaenae et de frons. Le mot grec προσκήνιο (proskenion) à l’origine de notre mot “proscenium” est l’assemblage de προ (en face de, devant) et de σκηνή (la tente), et signifie par conséquent “en face de la tente ou devant la tente”. Celle-ci, dans le cas qui nous préoccupe était l’endroit où les acteurs itinérants préparaient leurs costumes et le proscenium devait être la toile sur laquelle était peint le décor. Cette toile peinte était suspendue devant la tente, là où se produisaient les acteurs. Lorsque le théâtre grec, de temporaire a évolué vers une structure permanente en pierre, le proscenium, lui aussi est devenu une structure en pierre. Quand les Romains ont transformé cette structure en un façade très èlaborée avec plusieurs niveaux de colonnes, des entrées, des niches, des sculptures, un nouvelle manière de designer le “proskenion” s’imposait pour le distinguer de l’appellation grecque. Proscaenium, sa forme latinisée aurait représenté un choix tout à fait rationnel mais Dörpfeld et Reisch, probablement influencés par A Dictionary of Greek and Roman Antiquities et soucieux de chercher le soutien académique de De Architectura, ont choisi scaenae frons même si, comme je l’ai souligné plus haut, Vitruvius n’a jamais utilisé l’expression pour désigner cette structure.

La contribution académique intéressante suivante dans laquelle ce terme a été utilisé: Die Griechische Bühne: Eine Architektonische Untersuchung de Otto Puchstein a éte publiée en 1901, à peine quatre ans après Das Griechische Theater. Cette recherche adopte, d’une manière inconditionnelle, l’utilisation que font Dörpfeld et Reisch des termes scaenae frons. L’auteur critique par la même occasion le chapitre de Dörpfeld "Das grieschische Theater Vitruvs" in Mittheilungen des Kaiserlich Deutschen Archäologischen Instituts Athenische Abtheilung (Band XXII 1897 : 439-462) pour ne pas avoir donné d’exemple de “proskenion” grec transformé en un scaenae frons. "Aber was mir gegen Dörpfelds Ansicht schon  allein zu genügen scheint, lässt sich kurz sagen. Er hat kein einziges Beispiel nachgewiesen, wo thatsächlich aus einem griechischen Proskenion eine römische scaenac frons geworden wäre (vergl. Athen. Mitth. XXII 1897, 458)." (Puchstein 1901 : 25). “Cependant, la seule critique émise à propos de l’opinion de Dörpfeld peut être brièvement exposée. Il n'a montré aucun exemple factuel où un proskenion grec est remodelé en un scaenae frons romain”

En 1906, l’expression scaenae frons était si communément utilisée que Gustave von Cube a écrit sa thèse sur la présence de l’expression dans la peinture murale pompéienne, Über die römische ‘Scenae Frons' in den pompejanischen Wandbildern 4. Stils. Si on considère la problématique de la désignation des objets du passé, le glissement de sens de l’expression scaenae frons qui sert à situer un objet en un nom propre à l’archtecture n’a pas beaucoup d’importance en soi sauf pour ceux qui sont concernés par l’histoire du théâtre Greco-romain antique et les peintures murales romano-campaniennes. Bon nombre de noms attribués à des artefacts dépendent, la plupart du temps, de conventions post-découverte plutôt que de preuves factuelles. Si la conséquence de ce transfert particulier de signification de cette expression n’avait eu pour conséquence que de fournir un nom à la façade à colonnades située à l’arrière du théâtre romain, je n’aurais pas fait tant de recherche sur son origine. En effet, il s’agit bien plus que d’ergoter à propos d’un mot car son sens moderne, à l’inverse de son usage original vitruvien, a contribué à justifier un lien perçu entre le décor de la scène antique et la peinture murale romano-campanienne antique.

Little dont le travail a été mentionné au début de ce chapitre, fait ce rapprochement d’une manière très succincte dans son essai Scaenograhia, publié en 1936 quand il déclare que "vista elements of the style", c’est-à-dire le second style “architectural” est “scénograpique”, c’est-à-dire décor de théâtre.

 

 

La Maison en tant que théâtre
page header
18
bbfb
bbfb
Abb. 4, Ein griechisch-Römische scaenae frons dans decorativer Verwendung - illustration dans Die Griechische Bühne: Eine Architektonische Untersuchung de Puchstein (page 27)