L’aspect historique du livre semble si juste que lorsque Lytton s’égare dans le royaume de l’imaginaire total, comme dans ses description macabres du manoir du prêtre païen Arbaces, la plupart de ses lecteurs contemporains ne se sont probablement pas rendus compte de l’écart permanent du livre vis-à-vis des faits historiques. En revanche, les lecteurs actuels, habitués des films d’horreur des années 1950, reconnaîtront dans le manoir d’Arbaces les tours égypto-gothiques et les gargouilles utilisés comme ingrédients dans de nombreux films d’horreur ultérieurs. En réalité, les maisons pompéiennes, même celles des plus riches propriétaires, ne présentaient que peu de caractéristiques extérieures distinctives. Cette particularité due à l’orientation centrale des maisons, permettait un meilleur contrôle de la température, ainsi qu’une cohésion sociale et une sécurité accrues. Le manoir solitaire et cerné par les arbres d’Arbacès, bien que justifiable du point du vue dramatique, n’a aucun rapport avec Pompéi. L’espace entre les murs de la ville était rare, et aucune maison n’était isolée (fig. 1). En marge des décors soi-disant historiques, Lytton joue sur les émotions du lecteur par le biais de quatre personnages principaux stéréotypés : le héros grec, Glaucus, sorte de « dandy » jeune et riche ; Ione, la belle héroïne vierge ; Nydia, sa servante aveugle et enfin le diabolique Arbacès, un prêtre d’Isis qui convoite Ione. De tous les personnages, ce dernier est le plus développé et une grande partie de l’intrigue est consacrée à ses tentatives pour discréditer Glaucus et séduire Ione.

Tout au long du roman, les décors intérieurs et extérieurs sont savamment employés pour appuyer et servir l’intrigue. En effet, les intérieurs des deux protagonistes, Glaucus et Arbacès, sont diamétralement opposés. Celui du héros est plaisant, clair et spacieux ; celui de son antagoniste, Arbacès, rappelle le style de manoir démoniaque typique d’un roman de Bram Stocker. Malgré la variation de la taille et du contenu des maisons selon le degré de richesse, Pompéi était étonnamment homogène, et des peintures murales sophistiquées se trouvaient également dans des maisons relativement petites. Certains détails biographiques indiquent que Glaucus et Arbacès illustraient deux aspects distincts du caractère du Lytton. Glaucus semble refléter sa foi dans le rôle crucial des personnes de son rang, car “noblesse oblige”, une idée véhiculée par des dandys aristocrates tels que Lytton en personne ; le prêtre d’Isis, quant à lui, reflète son côté sombre. Lytton a utilisé Arbacès pour accentuer les préoccupations chrétiennes contemporaines face aux maux du paganisme. En parallèle, il s’est servi de ce personnage pour satisfaire son intérêt pour les pratiques occultes et les phénomènes psychiques. Des références à des rituels mystiques et à des pratiques magiques antiques apparaissent sans cesse à travers le roman. Selon la biographie rédigée par Leslie Mitchell, Bulwer-Lytton: The Rise and Fall of a Victorian Man of Letters, Lytton craignait que son goût pour les pratiques liées au psychisme ne l’expose à la risée du public, une situation qu’il redoutait en tant qu’écrivain et peut-être plus encore en tant que politicien (L. Mitchell, 2003, p. 142).

L’effet digne d’un prisme déformant des Derniers Jours a été hautement significatif, car Lytton fut l’un des romanciers les plus prolifiques et les plus lus de son époque, sans oublier son statut de membre du parlement et de ministre dans le cabinet du gouvernement conservateur de la Reine Victoria (fig. 2). Décrit de son vivant comme le plus grand romancier anglais, il est aujourd’hui ignoré, voire raillé, pour avoir rédigé le pire incipit de roman jamais écrit :

« C’était une sombre nuit d’orage et il pleuvait à torrents – excepté à quelques intervalles occasionnels, lorsque la pluie était ralentie par une violente rafale de vent qui balayait les rues (car c’est à Londres que notre scène se situe), courant sur les toits dans un grand bruit de ferraille et agitant violemment la faible flamme des lampes qui luttaient contre les ténèbres. » (Paul Clifford, 1830)

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1. Scène de rue montrant la haute densité de population à Pompéi

2. Lord Edward Bulwer-Lytton
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