Le lecteur n’est en aucun cas mis au courant des problèmes soulevés par cette méthodologie. La recherche historique comporte maints problèmes méthodologiques, et ceux liés à l’histoire unique de Pompéi peuvent être particulièrement difficiles à résoudre. Comme Andrew Wallace-Hadrill l’a fait remarquer, même les questions très concrètes en apparence, comme de savoir la nature de la population habitant à Pompéi au moment de l’éruption, se révèlent être très litigieuses à cause du nombre de variables impliquées (Wallace-Hadrill 1994, p. 91‒103). La définition du « goût » présente un nombre encore plus élevé de difficultés, qui augmente de façon exponentielle à mesure que les artefacts, les individus et les sociétés s’évanouissent dans l’histoire. La distance historique complique davantage la nature polysémique des images et leur capacité à fonctionner simultanément comme des signes, des symboles, des indices et même des symptômes. Extrapoler les goûts d’un individu à partir d’un objet donné requiert l’inversion d’un processus sémantique extrêmement compliqué qui inclut un si grand nombre de variables qu’un tel raisonnement est presque impossible, excepté à un niveau superficiel. Par exemple, si deux personnes possèdent les mêmes objets, ont-elles pour autant des goûts similaires ? Un masque africain suspendu dans le village d’une tribu a-t-il la même signification qu’un autre suspendu dans un appartement occidental ? Les propriétaires partagent-ils les mêmes goûts ? Personne ne s’aventurerait dans de telles suppositions puisque les objets seuls ne peuvent déterminer le goût et que le contexte dans lequel un objet existe contribue largement au potentiel de l’objet, en vertu de son rôle de signifiant.

À Pompéi, le fossé culturel en matière de propriété n’était pas aussi extrême que dans l’exemple du masque africain, mais, selon l’étude de cas publiée, il existait également un « modèle d’ambition sociale» externe qui correspondait à la villa hellénistique palatiale, une demeure soi-disant convoitée par le « nouveau riche  (p. 16, 35, 136‒14, et coll.). Cet édifice est un élément constamment utilisé pour évaluer le goût pompéien en général. En substituant « la villa palatiale » au « palais » comme symbole d’un luxe inaccessible, l’objet du désir semble moins lointain et sa convoitise semble moins absurde. Parallèlement, l’image du « palais » reste en arrière-plan de la villa comme une sorte de référence subliminale. Contrairement à l’exemple du masque, qui vise à illustrer la relation symbiotique entre l’objet et le contexte, « le modèle d’ambition sociale » du livre correspond à l’objet du désir et à la condamnation du « nouveau riche ».

De la villa palatiale au palais héllenistique

La stratégie principale de l’auteur est de déprécier l’art et l’architecture de Pompéi en les qualifiant constamment d’« imitations ». L’« original », la villa hellénistique palatiale, n’est jamais réellement évoqué, sauf indirectement, afin de jeter une ombre de façon dénigrante sur la qualité de l’art pompéien et exposer ainsi les « goûts inférieurs » des habitants de Pompéi qui ont commandé les peintures murales. La désignation d’une œuvre comme imitation ou copie est une stratégie très courante pour discréditer les artefacts. Malheureusement, elle n’a pas beaucoup de sens au-delà des conceptions modernes puisque l’imitation, à travers les copies et les copies de copies, correspondait à une norme historique dépourvue, ou presque, de connotations péjoratives. L’« objet » supposé du « désir » du propriétaire pompéien, l’art hellénistique, « imitait » une foule d’autres sources d’inspiration étrangères. Personne n’y fait jamais allusion, car une telle observation saperait la pureté de l’« original », atténuant ainsi la problématique liée aux « imitations » de Pompéi. Au contraire, le « modèle d’ambition sociale » devient de plus en plus considérable à mesure que le lecteur progresse dans le livre et les villas palatiales cèdent la place aux objets du désir incarnés par les palais royaux détenus par les monarques hellénistiques (p. 35, 136‒143).

 

 

La peinture murale et la maison en tant que palais
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1. Étant donné qu’il n’existe plus de « modèle » inaccessible qui illustre le palais hellénistique si souvent évoqué dans Pompeii – public and private life (2000), j’ai donc décidé de le remplacer par la photographie ci-dessus de la John Paul Getty Villa de Malibu, en Californie, avec une ironie plus que palpable. La critique de Zanker à l’égard de la peinture murale romaine antique, dans certaines maisons de Pompéi, qu’il qualifie de « Disneyfication » (p. 156) ou de « pot-pourri grotesque » (p. 189), est bien plus pertinente pour les peintures de cette villa reconstituée à l’image de la Villa des Papyrus d’Herculanum. Elles sont totalement dépourvues des qualités gestaltiques « impressionnistes » sophistiquées qui sont manifestes dans la peinture murale antique. D’excellents exemples de celles-ci ont été découverts dans le musée Getty, qui fait partie du complexe de la villa.

2. Peinture murale moderne représentant des poissons (détail), J. Paul Getty Villa, Malibu.

3. Détail d’une peinture murale antique représentant des poissons (ex-voto) (image agrandie)

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