Villa somptueuse ou havre de paix
La thèse sous-jacente dans Pompeii : Public and Private Life repose sur l’interprétation de preuves matérielles qui consistent surtout en une imagerie visuelle sous la forme d’éléments architecturaux et de peintures murales, et les légendes des illustrations sont toujours agencées de façon à persuader le lecteur de les interpréter en faveur de la thèse présentée. Rien d’inhabituel, sauf que dans de nombreux cas, ni l’illustration, ni la légende qui l’accompagne n’apparaissent ou ne sont développées dans le texte principal. L’illustration 16 de l’étude de cas en est un exemple (fig. 2). Elle dépeint une des quatre vignettes dans le tablinum de la maison de M. Lucretius Fronto (V 4.11) (fig. 1 à 4), toutes situées dans deux compositions plus grandes sur des murs en vis-à-vis. Les vignettes sont soutenues par des supports décoratifs semblables à des candélabres. Bien que le texte principal n’y fasse pas référence, l’illustration 16 est utilisée pour prouver un aspect fondamental de la théorie du livre. La légende encourage le lecteur à envisager le propriétaire de la maison comme une personne motivée par des désirs purement hédonistes. Elle commence par décrire la vignette comme une « imitation sous forme de fresque d’une peinture sur panneau […] représentant une villa en bord de mer ». Elle nous informe ensuite que « les représentations de villas luxueuses sont omniprésentes dans les maisons pompéiennes en tant que symbole d’un mode de vie aisé et érudit. Les allusions constantes à l’univers des plus nantis sont restées caractéristiques de la décoration des intérieurs domestiques à Pompéi tout au long de l’époque impériale. »
Comme décrit précédemment, le terme « imitation » est employé à plusieurs reprises pour insinuer que l’imitation est synonyme de convoitise. Dans ce cas, la thèse avancée est que la peinture murale « imitait » une autre œuvre réalisée auparavant sur des panneaux en bois. L’infériorité implicite y est associée, cette peinture étant supposément une représentation d’une « villa luxueuse », elle est ensuite utilisée pour soutenir la théorie où la classe moyenne utilisait l’art pictural afin d’imiter les œuvres et les biens inaccessibles des riches. Mais quel est l’objet de cette imitation ? Si l’original était une peinture sur panneau, alors aucune preuve ne démontre son existence préalable et l’ensemble de la composition pourrait tout aussi bien avoir été tiré d’un « livre de modèles » qui permettait aux propriétaires de choisir des compositions. Quant à l’argument prétendant que l’objectif d’une vignette est de représenter des « villas luxueuses », il repose uniquement sur une hypothèse. La villa pourrait ne pas avoir été le sujet central. Le bateau et les personnages attendant son arrivée ou son départ constituent peut-être le thème de la peinture et la villa ne sert qu’à la mettre en contexte (fig. 5).
L’auteur est tellement obsédé par l’interprétation de la villa dans la vignette comme symbole de l’aspiration de la classe moyenne qu’il passe à côté d’autres éléments clés de la peinture, comme le bateau. Le bateau pourrait bien avoir une signification symbolique liée à une arrivée en toute sécurité ou à un départ de bon augure, et les personnages, dont la taille est ambiguë, sur la rive pourraient bien représenter soit des humains, soit dans certains cas, des statues de dieux associés à la mer, comme Poséidon et Fortuna. La peinture deviendrait alors une version idyllique du type de scènes portuaires illustrées sur des sépultures. Le tombeau de Naevoleia Tyche dans la Rue des Tombeaux située en dehors de Pompéi comporte justement une image de ce style (fig. 6). Son emplacement et le fait que les voiles soient en train d’être roulées suggèrent une arrivée à bon port dans un sens eschatologique. Cette métaphore est particulièrement poignante au vu de la proximité entre Pompéi et la mer. Cicéron a recourt à une métaphore similaire lorsqu’il pense à sa propre mort : « Plus j’approche de la mort, plus tôt il me semble, pour ainsi dire, que je découvrirai la terre, et toucherai au port où je dois enfin arriver après une longue navigation. » (J. V. Le Clerc, 1821). Un sol en mosaïque à l’entrée de la Casa dell’Ancora évoque le même thème.
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