Après avoir évoqué l’image du parc animalier en lien avec cette peinture, nous sommes informés que les deux illustrations « insérées » dans la composition, qui occupent entre le tiers et la moitié de la peinture environ, représentent les jardins d’une villa, bouclant ainsi la boucle entre le parc animalier et la villa. Paul Zanker semble cependant avoir négligé un élément visuel important qui parcourt le haut et les côtés des illustrations insérées dans la peinture murale. Un bord rocheux en dents de scie a été utilisé pour les encadrer et implique donc que nous regardons vers l’intérieur ou l’extérieur d’autres cavernes (fig. 1). Bien que l’orientation soit ambiguë, les guirlandes et les médaillons colorés faits de terre cuite, situés à l’extérieur face au spectateur, paraissent indiquer que nous observons l’intérieur d’une entrée de caverne hautement stylisée. Cet axe est plus logique si nous revenons à l’entrée de la caverne représentée derrière Orphée et si nous la mettons en relation avec l’image du paradis chthonien, essentiel au mythe d’Orphée.

Dans le cadre du mythe d’Orphée, la juxtaposition de la section contenant Orphée avec deux vignettes insérées devient parfaitement logique. Dans la zone supérieure, nous pouvons observer le conflit sous la forme de prédateurs en train de chasser du bétail ; un oiseau apparaît effrayé et protège son nid. En regardant plus bas, la scène devient tranquille alors que la musique d’Orphée commence à enchanter les animaux sauvages, qui ne se menacent désormais plus l’un l’autre. Les entrées de caverne stylisées, symbolisant peut-être la descente d’Orphée aux Enfers pour secourir Eurydice, permettent d’encadrer le thème du monde fertile et merveilleux qui fait paisiblement écho au chant des oiseaux. La présence de l’homme dans ce jardin paradisiaque est symbolisée par les structures rustiques semblables à des sanctuaires, les guirlandes et les médaillons en terre cuite, indiquant éventuellement la présence d’une divinité. Dans ce contexte, les illustrations « insérées » dans la composition s’apparentent à un aperçu du paradis d’Orphée et non à une vision pleine de convoitise des jardins d’une villa, comme le livre voudrait que nous le faire croire.

Nous nous sommes penchés jusqu’à présent sur les illustrations et leur légende. L’hypothèse illustrée par cette image, mais néanmoins jamais évoquée, apparaît quelques pages plus loin dans une sous-section intitulée « De grandes images pour de petits rêves » (p. 184-192). Comme le titre l’indique, elle tourne autour de l’idée que de grandes illustrations, dans ce cas des peintures murales, étaient disposées dans des maisons relativement petites pour satisfaire le désir inaccessible du propriétaire d’obtenir des villas opulentes et un mode de vie luxueux, censés aller de pair avec ces images. Au vu de cette thèse, il aurait été plus approprié de nommer cette section « De petites images pour de grands rêves ». Cependant, il semblerait que, malgré qu’ils pouvaient s’offrir de grandes peintures coûteuses, celles-ci ne représentaient au final que les « petits rêves » d’hommes dont la fortune ne suffisait pas à assouvir leurs ambitions « hédonistes », censées être liées à la possession de véritables parcs animaliers. Ce point étant établi comme cadre de référence pour le lecteur, la page 187 poursuit la description de la peinture d’Orphée en tant que paradeisos mythologique enrichi, ayant été décrit auparavant comme un parc animalier. Toute illusion que les lecteurs pourraient avoir à l’égard de son statut mythologique est toutefois rapidement dissipée en les renvoyant à un passage du Res Rusticae de Varron (3.13.2‒3). L’extrait décrit un dîner en plein air dans la réserve de gibier de Quintus Hortensius, pour qui l’on fait venir une personne se faisant passer pour Orphée. Lorsqu’on lui demande de chanter, il souffle plutôt dans une corne qui attire les différents animaux de la réserve. Malgré l’existence de bon nombre d’images et de textes portant sur la légende d’Orphée, il nous est demandé de tous les remplacer par cet Orphée soufflant dans une corne dans un parc animalier, établissant ainsi un lien entre la peinture et le mode de vie inaccessible des plus nantis. Et pourtant, d’une façon quelque peu surprenante, l’auteur nous informe que savoir si le propriétaire de la peinture comprenait ce lien ou non était « sans importance » (p. 187).

 

La peinture murale et la maison en tant que palais
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1. Détail de la lithographie d’Orphée (page précédente) montrant la section insérée du côté gauche, dans laquelle le bord en dents de scie d’une caverne stylisée est clairement visible.