Dans son essai Sculptural Collecting and Display in the Private Realm, Elizabeth Bartman nous raconte que les Romains percevaient l’éclectisme comme une vertu et que les collections de sculptures étaient grandement appréciées, car elles correspondaient à des périodes, des styles, des thèmes et des générations différents, offrant chacun un sujet de conversation (Gazda, 1991). Et cependant, Paul Zanker a eu recours à cette approche généralement acceptée de la collection comme raison principale pour critiquer les goûts de M. Lucretius en matière de sculpture (p. 172).
Une statue de bronze d’un « domestique tenant un chandelier » fait partie des quelques sculptures que l’auteur analyse dans les moindres détails (fig. 1). Sa légende la décrit comme ayant une certaine valeur financière et, par conséquent, comme ayant plus de chances d’avoir été détenue par le propriétaire « riche » d’une villa, avant de passer aux mains de son propriétaire actuel qui vivait dans une maison « modeste ». Cette association a pour effet de rappeler au lecteur le statut inférieur du propriétaire actuel étant donné que les personnes modestes, nous dit-on, ne pouvaient acquérir des objets de valeurs qu’en les achetant d’occasion, même s’il n’existe aucune preuve pour soutenir cette idée. Sa valeur financière est également de nouveau abordée dans le texte principal, mais cette fois en tant que moyen d’associer la sculpture à la volonté de posséder des villas luxueuses (p. 178). Cette statue n’est jamais qualifiée d’imitation, bien qu’elle s’inspire clairement des principes esthétiques grecs. Une telle appellation aurait été à l’encontre de son caractère précieux et aurait empêché de rassembler des preuves sur le désir du propriétaire de joindre les rangs de la classe aisée. Au contraire, elle est décrite comme permettant de rappeler le type de sculpture trouvé dans la vie « réelle », c’est-à-dire les villas des riches.
Il semblerait que la tentative de Zanker d’établir les goûts personnels en fonction des collections de sculptures soit de même profondément empreinte de problèmes méthodologiques, l’un d’entre eux, non des moindres, étant la possibilité concrète que les Pompéiens se soient engagés dans une quête déjà sujette, en l’an 62 apr. J.-C., à un ensemble de conventions romanisées. En effet, Zanker argumente en faveur de ce point précis dans un autre article lorsqu’il affirme que les conventions républicaines en lien avec l’exposition de sculptures ont continué à influencer les mentalités pendant l’époque impériale (« Zur Funktion und Bedeutung griechischer Skulptur in der Romerzeit », dans Le classicisme à Rome aux Ier siècles avant et après J.C. [Fondation Hardt, Entretiens sur l’antiquité classique 25, Geneva 1978] p. 300). Dans ce contexte, des collections comme celle appartenant à M.Lucretius sont conformes aux modèles romanisés et ne résultent pas du désir d’imiter les lointaines collections hellénistiques.
La villa des Papyrus
La villa des Papyrus à Herculanum contenait une collection encore plus vaste de sculptures en marbre. Devons-nous en conclure que le propriétaire était d’autant plus coupable de s’adonner à un déploiement ostentatoire ? Zanker voudrait nous le faire croire lorsqu’à la page 141, il décrit de telles collections comme étant « peu rigoureuses », manquant d’« harmonie naturelle » et étant « excessives dans leur usage de matériaux coûteux (ou dans leur imitation de ceux-ci) ». Cependant, le propriétaire possédait également une autre collection considérable qui raconte une tout autre histoire. La villa a été nommée la « villa des Papyrus » parce qu’elle contenait une des plus vastes et des plus importantes collections d’anciens parchemins jamais découvertes. Pratiquement tous les parchemins analysés jusqu’à présent sont des textes philosophiques, épicuriens en particulier, et cette constatation est d’autant plus déconcertante et, en même temps, révélatrice sous l’angle de ce débat particulier portant sur l’art comme symbole du luxe.
11. La statue ci-dessus est reproduite dans Pompeii – Public and Private Life à la figure 102 et décrite comme un « domestique » tenant un chandelier, Maison de l’Éphèbe (à présent au Musée archéologique national de Naples).
|