La présence d’une peinture murale de paradeisos dans la villa de Livia indique-t-elle qu’elle imitait également les villas hellénistiques palatiales et le style de vie y afférent ? Si tel est le cas, pourquoi ? En tant qu’épouse d’Auguste, elle était, plus que n’importe quelle autre femme, la plus susceptible d’être considérée comme « royale » à la fin de la République et pourtant, elle a choisi d’avoir un paysage de jardin exotique peint dans une pièce ressemblant à une grotte dans sa villa ? Son paradeisos enchanté comprenait des arbres fruitiers, des fleurs exotiques et des oiseaux colorés (fig. 1). De plus, comme le nom l’indique, cette oeuvre diffusait une impression de tranquillité élyséenne et de joie essentielle. Livia en personne, ou plutôt Livia en particulier, n’était pas à l’abri d’une exposition aux traumatismes du monde réel et des peintures comme celles-là lui accordaient probablement un certain répit, bien qu’illusoire. Il n’y a aucune raison pour que les Pompéiens ne les aient pas commandées précisément pour les mêmes raisons cathartiques. Un motif de caverne avec des bords en dents de scie, semblable à celui trouvé dans la peinture d’Orphée, est représenté le long de la partie supérieure de la peinture. Les voûtes en berceau du plafond au-dessus de la peinture renforcent l’impression de se trouver dans une caverne depuis laquelle l’on peut apercevoir le paradis.

Mosaïque d’une tête de mort

Une autre œuvre d’art pourrait mettre des bâtons dans les roues de Paul Zanker, plus précisément concernant sa théorie sur l’image des jardins paradeisoi comme une projection d’un hédonisme débridé : la mosaïque représentant une tête de mort qui servait de dessus de table de jardin (fig. 2). Comme Otto Brendel l’a souligné, cette mosaïque représente un écart considérable par rapport à la personnification mytho-poétique de la mort dans l’art grec, où Thatanos (mort) et Hypnos (sommeil) sont en symbiose (Brendel, Otto J., « Observations on the Allegory of the Pompeian Death’s-Head Mosaic », dans The Visible Idea: Interpretations of Classical Art, 1980, p. 7-26.). La mosaïque constitue un rappel emblématique, mais néanmoins effrayant, que la mort est un passage inévitable plaçant l’ensemble des mortels sur un pied d’égalité. Une image dont un hédoniste ne souhaiterait certainement pas se rappeler alors qu’il savoure un repas dans son « jardin royal » factice. Brendel considérait cette mosaïque comme dotée d’une objectivité presque scientifique, qui correspondait, selon lui, à l’attitude pragmatique des Italo-romains face à la mort, qu’il opposait à sa forme déifiée dans la mythologie grecque.

Dépourvue de toute référence idéalisatrice, la mosaïque apparaît brutale dans son usage des éléments visuels symboliques, qui auraient tous paru évidents aux yeux du spectateur contemporain puisque ce dernier aurait pu la déchiffrer au-delà de sa référence crue et simpliste à la mort à travers l’image du crâne. Cette décoration n’est pas une invitation à apprécier les plaisirs de la vie tant qu’il en est encore temps! Une telle interprétation négligerait l’histoire visuelle intégrée à la composition. Le caractère éphémère de la vie est sans aucun doute symbolisé par la présence du crâne et du papillon. La roue, en tant qu’attribut à la fois de Némésis (équilibre) et de Tyché (fortune), aurait également rappelé au spectateur sa propre nature éphémère dans l’ordre général des choses. Le créateur de cette mosaïque ne se contente pas simplement de rappeler au candidat hédoniste sa mort certaine, mais il transmet également un message pieux, indiqué par les objets en parfait équilibre suspendus à l’outil de nivellement utilisé par les entrepreneurs. Les ensembles accrochés contrastent, directement l’un avec l’autre, l’un est composé d’un bâton de berger, d’un sac et de vêtements en lambeaux alors que l’autre comprend un sceptre et une robe violette, deux images du pouvoir impérial. La position du fil à plomb suspendu à la verticale avec le plomb pointant vers le crâne indique que les deux ensembles d’éléments accrochés ont le même poids et signale ainsi que les riches, les puissants et les pauvres sont tous égaux dans la mort.

 

La peinture murale et la maison en tant que palais
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1. Paradeisos dans la villa de Livia Drusilla, Prima Porta, près de Rome.

2. Mosaïque en tête de mort, Musée archéologique national, Naples.