Certaines références littéraires antiques présentant les édifices comme des symboles de la décadence sont si poétiquement obscures que seuls les philologues latins peuvent les comprendre. Par exemple, dans l’Énéide, Virgile produit un effet cinématographique de ralenti frappant lorsqu’il décrit la chute du guerrier Bitias, mortellement blessé. La « gravité » de ce moment est accentuée par une comparaison de Bitias avec un bâtiment sombrant dans la mer et causant de violents remous. L’endroit choisi pour situer cet événement capital était Baïes, une ville connue pour ses villas dotées des colonnes de marbre resplendissantes, perchées sur le littoral. « […] Le grand corps du géant s’affaisse et tombe : la terre en gémit, et retentit du fracas de sa vaste armure. Ainsi quelquefois sur le rivage de Baies, colonie d’Eubée, tombe dans la mer un énorme amas de pierres assemblées pour former une puissante digue: la masse inclinée s’écroule et s’abîme en débris au fond des eaux ; les flots troublés bouillonnent et soulèvent un sable noir […] » (Virgile, L’Énéide, IX, 710-713).

Contrairement au marbre, la peinture murale ne faisait pas partie des discours antiques sur la consommation ostentatoire. Il fallut attendre les années 1980 pour voir ce type de propos apparaître. Ne se laissant pas  décourager, les auteurs contemporains ont commencé à soulever les mêmes questions polémiques à l’encontre de la peinture murale, autrefois associées au marbre. Ainsi,  nombreux sont d’avis que les peintures sont purement des produits de luxe dont l’unique but était de rehausser le statut social. The Social life of Painting in Ancient Rome and on the Bay of Naples d’Eleanor W. Leach (2004) repose sur cette Idée. Des discours péjoratifs sur le marbre sont en grande partie développés dans le chapitre cinq « The Style of Luxury ». La pertinence de ces propos vis-à-vis des peintures murales n’est jamais traitée de façon claire, mais, à cause d’un phénomène d’osmose, ces productions se retrouvent mêlées aux débats antiques liés au marbre et au luxe. Un exemple est l’association des peintures murales des maisons pompéiennes relativement modestes, comme celles de Lucretius Fronto, avec le type d’ornements de luxe trouvés dans les intérieurs somptueux de Néron, décorés avec du mobilier en marbre (fig. 1). Les murs plaqués de marbre et les solides colonnes en marbre, comme Leach elle-même le reconnaît, étaient rares à Pompéi, mais cette observation ne l’a pas empêchée de rattacher la peinture pompéienne aux polémiques entourant l’utilisation ostentatoire du marbre ailleurs (Leach, 2004, p. 176).

La capacité de la peinture à imiter les produits de luxe, comme les éléments architecturaux en marbre, est responsable de sa place au cœur des débats modernes portant sur la recherche du luxe par les Romains. Cette association peut sembler appropriée, mais lorsqu’elle s’applique à la peinture pompéienne, les résultats sont surprenants. Par exemple, si la représentation du marbre par le biais de la peinture est mentionnée comme critère principal pour démontrer la présence de luxe, alors le premier style ou style des « incrustations » gagnerait haut la main puisqu’il semble se focaliser entièrement sur l’imitation du placage de marbre (fig. 2). Et pourtant, la représentation du luxe est plus souvent attribuée aux derniers styles pompéiens, car ils étaient censés illustrer des produits « de luxe » dans des cadres architecturaux ornementaux. Cependant, la signification iconographique des peintures murales les plus récentes est rarement expliquée, les vidant ainsi de toute signification intrinsèque qu’elles pouvaient contenir autrefois  Une fois isolées, elles sont alors exposées à pratiquement n’importe quelle forme de remise en contexte. Par exemple, la publication citée ci-dessus associe les peintures murales aux discours polémiques sur l’utilisation opulente du marbre afin de les catégoriser en tant que « produits de luxe », que « l’élite », nous dit-on, employait pour justifier leur statut social. L’omniprésence de peintures exceptionnelles à Pompéi, à la fois dans les grandes et les petites maisons, contredit toutefois l’idée qu’elles servaient de forme d’ingénierie sociale pour l’élite.

La peinture murale et la maison en tant que palais
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1. Casa di Marcus Lucretius Fronto, vue sur le triclinium et le tablinum, Pompéi. 2. Exemple de peinture murale de « Premier style », Musée archéologique de Palerme.