Une Anatomie, Minotaure et Surréalisme
Le thème du sauvetage qui précède les dessins d’Une Anatomie et la célébration du retour à la santé de la muse du peintre dans les eaux-fortes contribuent à contextualiser les dessins d’Une Anatomie comme des représentations ex-voto de sa maladie inspirées par un traumatisme et un désir refoulé. Mais ils ne résolvent pas les questions qui se posent au sujet de leur différence stylistique dramatique avec les thèmes qui les entourent. Les décrire simplement comme des figures squelettiques ou des «sculptures conceptuelles» ne rend pas justice aux nombreux tropes visuels surréalistes qui les sous-tendent et leurs références à l'art tribal africain, qui fait également partie du credo surréaliste. Mais pourquoi surréaliste ? Picasso était certes un artiste éclectique, mais il résistait à toute tentative de le classer dans un groupe dont il n'était pas l'instigateur. D'un autre côté, il a naturellement souscrit à bon nombre de croyances surréalistes, en particulier celles qui préconisaient que la créativité devrait être fondée sur l'anti-logique, les rêves, la magie et le mysticisme, plutôt que sur l'empirisme et surtout qui faisait la part belle au soi-disant esprit tribal « sauvage » et « primitif » qui doit prendre le pas sur la raison intellectualisée. Il est prouvé que les principaux concepteurs du surréalisme ont essayé d'utiliser sa réputation établie pour renforcer leur crédibilité et en même temps la popularité du mouvement. L'invitation à être l'artiste vedette du numéro inaugural de Minotaure et à créer sa première couverture est un exemple évident des tentatives du groupe pour le faire entrer dans son giron. La réponse de Picasso fut de leur offrir Une Anatomie, qui personnifie la croyance surréaliste en la doctrine du « hasard objectif », inspirée de la trop célèbre phrase des Chants de Maldoror du Comte de Lautréamont, « C'est aussi beau que… la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et un parapluie ! » En même temps, l'occasion se présentait de faire reproduire de nombreuses fois ses dessins ex-voto, ce qui, pour un esprit superstitieux comme celui de Picasso, devait renforcer leur pouvoir.*
Sans doute le nom du magazine l'attirait-il car il s'identifiait personnellement à la créature mythique celle de l’homme-taureau qui lui permettait d'exprimer toute la gamme des émotions humaines et animales en un seul personnage. C'était aussi un trope surréaliste emblématique des désirs interdits. En plus de se livrer à sa fascination pour le Minotaure, Picasso a utilisé le magazine pour faire connaître
*Pour en savoir plus sur la relation de Picasso au surréalisme, voir « In Surrealist Company 1924-1934 », Cowling 2002 : 452-552
Fig.32 Picasso. Modèle et sculpture surréaliste, L'atelier du sculpteur, Suite Vollard, eau-forte, 04-5-1933
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