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Gares et Minotaures : la notion de genre dans l’œuvre de Giorgio de Chirico et de Pablo Picasso
Elles sont la reproduction continuelle de l’apothéose mais aussi la réaffirmation picturale de sa notion de fatalité géographique, à savoir sa conviction que l’interdépendance spirituelle entre la géographie et la génétique était inéluctable. Il déclarait d’ailleurs la ressentir entre lui et ses ancêtres gréco-romains. (À ce propos, cf. Giorgio de Chirico et la Perspective Métaphysique).
                                                                                                        
La production artistique de Picasso est tout aussi légendaire. Ses œuvres ont rempli tour à tour ateliers, manoirs et châteaux. En 1964, Françoise Gilot publie Vivre avec Picasso. Elle y décrit notamment sa première visite de l’appartement de la rue La Boétie qui, bien qu’inoccupé depuis cinq ans, était envahi par les œuvres et les biens de l’artiste. Sa description pointue s’apparente au récit d’Howard Carter de son entrée dans la chambre funéraire de Toutânkhamon regorgeant de trésors destinés à l’accompagner dans l’au-delà. Par la suite, lorsqu’elle se rendit à sa splendide résidence de campagne située dans le hameau du Boisgeloup, elle éprouva une sensation similaire à celle qu’avait provoqué chez elle la vue de ces objets semblant suspendus dans le temps. Effectivement, Picasso ambitionnait de posséder et de déjouer la perte. Cette caractéristique se retrouve dans sa créativité prolifique combinée à son incapacité légendaire à se débarrasser du plus simple objet tels ses mégots de cigarettes, ses vieilles chemises et même ses rognures d’ongles. Si sa richesse ne lui avait pas permis de satisfaire son besoin pathologique de créer, de posséder et d’accumuler, il n’aurait sans doute pas échappé au diagnostic du syndrome de Diogène.

Bien entendu, la créativité prolifique peut être attribuée à n’importe quelle motivation primaire, bénigne ou non, telle que la volonté de posséder ; le complexe d’insécurité ; le machisme masculin lié au désir sexuel ; une tentative de parer l’inévitable en créant une descendance de substitution. En réalité, les raisons pouvant expliquer ce besoin de prolificité sont innombrables. Pour Picasso, mais aussi De Chirico, nous estimons que la clé du mystère réside dans la taxonomie de leurs peintures et dans l’analyse des thèmes qu’ils utilisaient sans cesse. D’un point de vue conceptuel, il serait futile de comparer sur une échelle chronologique l’œuvre des deux artistes : les véritables révélations apparaîtront au cours d’un examen minutieux de leurs catégories thématiques et des modèles de représentation iconique qui leur sont propres. Une étude sommaire de leurs taxonomies respectives suffit à révéler que les deux artistes ont gravité en sens contraire autour des extrêmes du féminin et du masculin. Les principaux thèmes de prédilection de l’œuvre de De Chirico ont été déterminés alors que l’artiste était âgé de vingt ans : le rapport entre la perspective métaphysique et la poétique de la discontinuité spatio-temporelle ; les métalangues visuelles centrées sur le voyage et l’aventurier ; Ariane au sujet du sommeil et de la renaissance spirituelle. Ces thèmes trouvent leur expression visuelle à travers des formes récurrentes : des Places, des Espaces intérieurs, des Mannequins, des Archéologies, des Natures Mortes (ou des « Vies Silencieuses » comme il les avait surnommées) ; des Gladiateurs dans une demeure ; des Baigneuses ; des Portraits et des Autoportraits (Fig. 1-6).

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1. Giorgio de Chirico Piazza d'Italia, lithograph 1969
2. Giorgio de Chirico Metaphysical Interior with Biscuits 1916
3. Giorgio de Chirico The Seer 1915
4. Giorgio de Chirico The Archaelogist 1926
5. Giorgio de Chirico Gladiators 1928-29
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6. Giorgio de Chirico Self-portrait 1924